Seuil, 2014, 220 pages
En commençant ce récit, je croyais que « Bellegueule » était un patronyme inventé par l’auteur pour rendre son propos ironique ; mais il semble que ce soit là le nom véritable de sa famille qu’il a utilisé pour ce qui est tout de même une œuvre de fiction, dans la mesure où il est écrit « roman » et non « autobiographie » sur la 1ere de couverture. J’ai peine à y croire !
C’est un nom difficile à porter …
Le narrateur commence avec un chapitre intitulé « Rencontre »
Lorsqu’il entre au collège à dix ans, deux garçons plus âgés qu’il ne connaît pas, le coincent dans un couloir pour lui cracher dessus, l’insulter et le persécuter physiquement, au motif qu’il s’appelle « Bellegueule et qu’il est pédé ». A peine à l’école, il a déjà une réputation. Seul contre deux plus grands, Eddy ne peut se défendre ; il ne supplie pas qu’on arrête, et n’en parle à personne. Ce serait une humiliation supplémentaire. Le scénario se répète de nombreuses fois, et Eddy aura conscience d’une sorte de complicité avec ses bourreaux. Mais comment faire autrement ?
D’une manière générale, les enfants sont battus. Ainsi que les animaux, les femmes, et les hommes qui se battent entre eux, ivres, à la sortie du bistrot. On baigne dans un climat de violence généralisée. Les Bellegueule , comme toutes les familles alentour, sont tout en bas de l’échelle sociale. Les hommes travaillent à l’usine les femmes sont hôtesses de caisse, ou « lavent le cul des vieux ». Les familles souffrent de malnutrition, les logements sont sommaires, la chambre des enfants est séparée par un rideau de celle des parents, et ils ne sont pas discrets. Misère sociale, matérielle, on se console avec la télé, les boissons fortes, le football, la violence.
Eddy traverse ses quinze premières années à devoir se défendre dans ce monde hostile ; surtout contre les garçons et les hommes. Avec la gent masculine, impossible de discuter. Il a des échanges de propos, et des relations correctes, quoique souvent difficiles, avec sa mère (« Ma mère et ses histoires »), ses sœurs, et cette fille de son âge qu’il appelle Amélie. On saisit qu'il a toujours plus ou moins été le confident de sa mère, rôle qui favorise l'homosexualité chez les garçons.
Très tôt, avant de se rendre compte qu’il était homosexuel, Eddy, selon son entourage se comportait « comme une gonzesse ». Il a fait son possible pour le dissimuler sans y parvenir. C’est l’école, où il craignait d’aller, à cause de ses persécuteurs, qui l’a tiré d’affaire.
En effet, avoir des attitudes considérées comme ressortissant du genre féminin, n'a pas que des inconvénients.Eddy avait des aptitudes pour jouer des rôles, et fait du théâtre ; lui sur scène, ses persécuteurs ne peuvent plus le tabasser, ils sont obligés de l'applaudir. C'est par le biais du théâtre qu'il va rejoindre le lycée d'Amiens.
Le récit est parsemé de réflexions qui témoignent de la capacité aiguë de l’auteur à analyser les situations. Il a fait le choix de rendre les propos des gens en italique, dans un langage argotique familier, pour nous mettre dans l’ambiance, et, ma fois, c’est réussi.
Je regrette cette effervescence médiatique autour d’Édouard Louis qui aurait pu me détourner de son livre et contente qu’il n’en ait rien été. Pour certains lecteurs, ce livre est un règlement de comptes. Je n'en crois rien. Les lecteurs choqués ne savent tout simplement pas comment vit une partie non négligeable de la population dans les campagnes, les cités des villes dortoirs, et les quartiers défavorisés des grandes villes. Ils ignorent les méfaits de l'alcoolisme, et de la grande précarité sociale.
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