Verticales, 2010, 317 pages.
C’est à Georges Diderot ingénieur, chef de projet que le prologue est consacré : nous voyons tout de suite que c’est un homme exceptionnel. Il m’a curieusement fait penser à l’Alexandre Yersin de Peste et choléra ; présenté un peu de la même façon comme un aventurier de la vie, un homme sans attaches, passionné par ce qu’il fait, tout entier dans l’instant présent, et le présent, ce n’est pas la contemplation, c’est engager toutes ses ressources à la résolution d’un problème.
D’autres personnages : Summer Diamantis, ingénieure des travaux publics, préposée à la production du béton, Sanche Alfonse Cameron, grutier ( de Dunkerque) et foreur, Mo Yun ancien mineur, ouvrier, nomade, réellement parti de Chine… Duane Fisher et Buddy Loo, ouvriers affectés au contrôle des effluents, surveillant la régularité des flux dans les pompes, évitent que les moteurs chauffent… Katherine Thoreau conductrice de bulldozer, chargée d’une famille nombreuse et problématique… sont de la même trempe.
Tous ces personnages et d’autres, différents, plus fragiles, vont se retrouver sur le même chantier de la ville de Coca en Californie, le maire, surnommé le Boa, ayant décidé d’y faire construire un pont pour relier les deux berges d’une large rivière. Le titre parle de « naissance » plutôt que de construction, et ce n’est pas par hasard ; le dynamisme, l’énergie des protagonistes augurent d’une vie nouvelle.
Ils auront à vaincre des obstacles ; parmi ceux que gênent la construction du pont, certains n’hésiteront pas devant des manœuvres crapuleuses voire criminelles, des écologistes s’en prennent à Diderot lui-même, des ouvriers vont protester contre leur exploitation, Ralph Waldo l’architecte rêve de paysage, ne se comprend pas avec Diderot, pragmatique avant tout.
Ecriture dense, lyrique, longues phrases travaillées dans l’oralité, documentation très fouillée dans les domaines de la construction d’un pont, et bien distribuée : ça ne ressemble jamais à un mode d’emploi ni à un ouvrage technique, c’est toujours poétique et sensible en même temps que réaliste. L’intrigue comporte des péripéties diverses, les liaisons amoureuses sont de la partie, et la ville recèle des lieux quasi magiques, comme cette forêt si dense, et les chutes de Sugar Falls.
Cependant, je ne me suis pas intéressée à l’histoire de la ville, et j’ai passé ces pages ; je suis gênée aussi par certains noms : Diderot (même si le personnage est éclairé…) Thoreau, voire Diamantis, et surtout « Coca » … reprendre les noms d’écrivains célèbres et les attribuer tels quels à des personnages de roman crée un effet de néantisation de ces personnages. Cela n’empêche pas de les aimer ces êtres…comme dans tous les romans de Kerangal, ils sont magnifiés, rendus exceptionnels par l’intensité de leurs implications dans leurs quotidiens, dans leurs gestes les plus banals.
Il n'y a que des défauts mineurs, l’ensemble est une belle création littéraire.
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