Minuit, 2017, 173 pages.
L’intrigue du roman tient en peu de lignes, elle est tout entière résumée dans la 4me de couverture ; l’homme appelé Kermeur narrateur du récit, a investi une forte somme dans l’achat d’un appartement devant être construit dans les deux ans par un promoteur immobilier ( Lazenec) venu apparemment pour construire des immeubles avec vue sur la mer.
Mais si le vieux château a bien été détruit, le complexe immobilier, censé relancer la croissance dans une petite ville plombée par le chômage, n’a jamais vu le jour… Lazenec est donc un escroc, mais chose curieuse, il est resté sur place, n’a jamais été inquiété.
Et donc, Kermeur , le roman débute ainsi, a précipité le soi-disant promoteur dans l’eau, le regardant se noyer.
Ce premier chapitre (la noyade de Lazenec) est d’un humour réjouissant, même si retenu ( ce sont les sternes qui rient de voir le type se noyer, et les mouettes qui pourraient raconter l’histoire…)
C’est aussi le début d’un dialogue entre le narrateur et le juge qui instruit l’affaire. Peut-être est-ce un dialogue fictif inventé par Kermeur en lieu et place de celui qui aura lieu, pensé-je au début de ma lecture ?
Car, aucun accusé ne parle à un juge comme Kermeur le fait, et aucun juge ne réagit non plus comme celui-là…
Pourtant, la suite nous fait entrer dans l’histoire, et le lecteur s’identifie au juge, il écoute de la même façon que lui, le déroulé du récit, et comment, non seulement Kermeur, mais toute une ville s’est fait rouler et ruiner en quelque années de temps.
Et Kermeur qui ne cesse de se demander comment il a pu se laisser séduire par ce Lazenec à qui il ne faisait même pas confiance, car Kermeur a toujours été socialiste, et il voyait parfaitement en Lazenec le capitaliste véreux... il n'aimait pas non plus les futurs grands immeubles, et préférait ce vieux château dont il était le gardien; et surtout, il avait ce projet d'acheter un bateau avec son indemnité de chômage...comment il en est arrivé à faire le contraire de ce qu'il voulait, de ce en quoi il croyait...
Malgré l’humour et l’ironie toujours sous-jacente, beaucoup de passages sont dramatiques. Dans ce registre, J’ai aimé la soirée de la cuite prise avec le maire, et le passage où l’on voit Kermeur, au cours d’une fête foraine, s’accrocher à la grande roue, qui emmène son fils, la grande roue de l’infortune…
Le style est un mélange de réalisme vif, notamment dans les dialogues, et de rêverie sur le temps et l’espace de cette presqu’île bretonne ; ces rêveries englobent aussi l’espoir qui a saisi les malheureux riverains à la vue de la maquette que Lazenec a présenté : « les Grands Sables » seul résultat palpable du projet de transformation de la ville.
« Maintenant je vous raconte ça comme si j’avais eu les clefs en main dès le début mais bien sûr pas du tout, j’étais aveugle comme saint Paul après sa chute de cheval ».
Cette comparaison vient couronner le premier contact qu’il a eu avec Lazenec, lui parlant d’appartement, avec vue sur la rade, et de « rendement » . Curieuse comparaison qui fait de l’escroc l’équivalent de Dieu, persuadant Paul de se convertir au christianisme. Il y eut aussi « les petits costumes de flanelle… on aurait dit comme des témoins de Jéhovah venu expliquer la Bible. Sauf qu’en guise de Dieu ils avaient Lazenec ».
Lui, Kermeur a traité directement avec Lazenec, devenu Judas « à force donc, il m’a même appelé par mon prénom, et à force encore, oui, il a fini par m’embrasser ».
Les métaphores bibliques nous suivent jusqu’à la fin « souvent quand je respire l’air libre de la mer…je récite à voix haute les lignes de l’article 353, comme un psaume de la Bible écrit par Dieu lui-même… ».
C'est donc aussi l'histoire d'un homme qui aurait voulu pêcher dans un bateau lui appartenant, et se retrouve à pécher comme dans la Bible...
commenter cet article …