L’aventure commence en Avril 1973 quand l’usine LIP (implantée à Besançon) qui fabrique des montres électroniques va être rachetée. En ces temps où les luttes ouvrières étaient la règle, les délégués syndicaux CDDT séquestre les négociateurs qui leur sont envoyés, après lecture d’un papier où ils lisent que quelques centaines d’entre eux vont être « largués ».
Après un bras de fer avec les CRS, ils occupent l’usine, et, révolté par la façon dont on veut les traiter (« ce n’était pas encore l’époque où l’on acceptait d’être traités comme des bêtes »), emportent les montres qu’ils ont produites et les outils nécessaires à la fabrication et au maintien de la chaîne de production, pour les planquer dans des endroits sûrs.
Pendant deux mois de juin à août, les ouvriers vont fabriquer eux-mêmes leurs montres, les vendre, et se payer sans être superviciés par un patron.
Avec pour porte-parole, une dizaine d’ouvriers délégués syndicaux SFDT, hommes et femmes, dont un prêtre dominicain, gauchiste plein d’humour, et un cadre commercial, une équipe incroyablement bien soudée et organisée par des années de discipline dans la lutte pour la défense des intérêts de tous .
Les ouvriers ne vendent plus leur force de travail, mais le produit de ce travail. Ils se redistribuent les richesses aussitôt acquises.
En août Mesmer, premier ministre de Pompidou, fait évacuer l’usine par la force. Les lip se réinstallent dans plusieurs salles à Besançon pour tenir des assemblées et pour une moindre mesure continuer à produire.
Le 28 septembre une grande manifestation de soutien est organisée, le 12 octobre avec les accords de Dôle, l’usine est, par l’entremise du PSU, confiée à Claude Neuschwanger, un chef d’entreprise de gauche.
L’année suivante les ouvriers sont tous réembauchés, l’usine fonctionne à nouveau avec une « tête » mais Neuschwanger est bien toléré et même apprécié. Il envisage un bel avenir pour Lip…une croissance économique dans l’honnêteté, on peut appeler ça un « ordre juste »
En 1976, Chirac, chef du gouvernement Giscard, casse le marché de Lip, fait cesser toutes le commandes pour punir ces manœuvres visant à empêcher le profit patronal. Les ouvriers sont mis définitivement au chômage, et leur nouveau chef à pied. L’heure a sonné. « Ce sont les années de la honte qui commencent » regrette Charles Piaget, principal porte-parole des ouvriers de l’époque.
« C’est avec Lip que commence le libéralisme proprement dit, le capitalisme financier remplace désormais le capitalisme d’entreprise… et on jouera les usines au Monopoly » dit Neuschanger… trente ans plus tard. Ce dernier ajoute que l’idéologie qu’on fit courir dans les années 80 comme quoi il n’existait plus de classes sociales est un mensonge éhonté d’autant plus que l’écart entre les nantis et les autre n’a cessé de se creuser.
Le documentaire est réalisé d’une façon classique et précise : on fait alterner les films d’archive noir et blanc, manifestations, meetings et gestes au quotidien, et les interviewes d’une dizaine de personnes, presque toutes déléguées CDDT.
C’est le point de vue des ouvriers, des producteurs, et des militants de base qui domine. Nous sommes donc au plus près d’une certaine vérité élémentaire et originelle. Les acteurs de l’époque, se méfiaient des récupérations des dirigeants de tous les partis de gauche, ainsi que de leurs propres chefs. On nous en montre très peu et ils semblent n’être là que pour constater les faits et tenter de les reprendre à leurs avantages. Nos alliés, disent les acteurs de cette remarquable rébellion, furent des militants anonymes tout comme nous, ou des organisations politiques telles que les Cahiers de mai, qui privilégiaient la lutte efficace au jour le jour plutôt que les grandes envolées lyriques et les discours creux.
Ce divorce entre la base et le sommet est ici flagrant. Et intéresse autant que la réalisation unique en son genre de l’expérience LIP.