La Princesse de Clèves (1678)
Editions Librio, 2 euros.
C'est un roman historique dont l'intrigue se situe à la cour d'Henri II, dans les dernières années de ce règne. (1555 à 1559), donc un siècle avant sa parution. Il paraît sans nom d'auteur. Aujourd'hui, on pense que ce roman est autant le fait de Mme de Lafayette, que de ses amis, dont La Rochefoucauld, pour ne citer que le plus illustre.
L'auteure décrit tout d'abord les mœurs de cette société aristocratique préoccupée d'amour, de fête, de plaisirs, à l'image de son roi, un peu écervelé.
Nous avons là quelques pages où se succèdent des noms de nobles et des descriptions dithyrambiques
" esprit vif et éloquence admirable... âme noble et élevée... égale capacité pour la guerre... ambition démesurée... vie glorieuse... dispositions pour les belles choses..."
tous ces compliments n'étant là que pour introduire le duc de Nemours :
" ce prince était un chef d'oeuvre de la nature ; ce qu'il avait de moins admirable, c'était d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres était une valeur incomparable, et un agrément dans son esprit, dans son visage et dans ses actions que l'on n'a jamais vu qu'à lui seul..."
Cette description typique des coutumes lexicales littéraires de ce que l'on nomme le Grand siècle, peut nous paraître bien abstraite! Ayant lu ce qui précéde, nous ne savons toujours rien de l'apparence physique de Nemours, de ses particularités. Nous n'avons que des superlatifs.
Cela vient en partie du fait que Mme de Lafayette a pris des leçons de "préciosité" . La littérature des " Précieux" veut enrichir le langage en l'épurant.
Le lecteur doit imaginer Nemours conforme à son idéal personnel de beauté masculine, en y mêlant un habillage de ce qu'il connaît et préfère des accoutrements de ce temps, tels qu'il a pu les admirer en regardant des tableaux de peinture, ou des films en costume d'époque.
Si le lecteur ne fait pas cet effort, il risque de lâcher le livre...
Le récit se concentre sur les personnages autour desquels va se nouer l'intrigue : le duc de Nemours, le prince de Clèves, et Mlle de Chartres, bientôt Mme de Clèves, soit l'amant, le mari, et la femme, trio bien connu des intrigues romanesques...
A cause de conflits opposant Catherine de Médicis (femme du roi, future régente) à Marie Stuart ( sa belle-fille) et à Diane de Poitiers( maîtresse du roi), Mme de Chartres craint de ne pouvoir faire épouser à sa fille un prince de sang. Tous les prétendants se retirent, pour ne pas déplaire au roi. Reste M. de Clèves, qui passe outre, parce qu'il est amoureux de la jeune fille (elle a 16ans). Elle l'estime mais ne partage pas son inclination.
Alors .... Alors l'irrésistible séducteur, le « chef d'œuvre de la nature », le Duc de Nemours, le Duc, regagne la cour et y rencontre la nouvelle Mme de Clèves, au cours d'un bal. Ils s'éprennent l'un de l'autre. Mais Mme de Clèves dissimule son sentiment. Sa mère l'a mise en garde : Nemours a un passé de séducteur impénitent et, présentement, vise le cœur d'Elisabeth, nouvelle reine d'Angleterre. (Il s'agit d'Elisabeth 1ere, qui eut de nombreux prétendants, mais n'épousa personne..)
Mme de Clèves et Nemours ont l'occasion de se voir chez la reine Dauphine (Marie Stuart, même âge que Mme de Clèves). Nemours se comporte avec discrétion, renonce à la galanterie.
Une sorte de jeu secret commence entre les deux « amants » qui se font des signes pour s'assurer de leur mutuelle inclination. Nemours ignore, ou feint d'ignorer, que sa passion est payée de retour.
Mme de Clèves est culpabilisée par son entourage.
Sa mère décède.
II
Son mari lui conte l'histoire d'une « perfide » qui avait promis son cœur à deux hommes; cette histoire édifiante semble longue à Mme de Clèves comme au lecteur : la conversation d'un mari n'est pas toujours excitante...
Mais voilà que la reine Dauphine lui fait savoir que Nemours semble profondément amoureux d'une femme qui ne le lui rend pas.
Et Nemours trouve l'occasion de se déclarer, entre les lignes !
- les grandes afflictions et les passions violentes repartit M. de Nemours, font de grands changements dans l'esprit : et, pour moi, je ne me reconnais pas depuis que je suis revenu de Flandre...et même Mme la Dauphine m'en parlait encore hier.
Mme de Clèves approuve...l'air de rien.
- Je ne suis pas fâché, madame, répliqua M.de Nemours, qu'elle s'en soit aperçue ; mais je voudrais qu'elle ne fût pas la seule à s'en apercevoir. Il y a des personnes à qui on n'ose donner d'autres marques de la passion qu'on a pour elles que par les choses qui ne les regardent point ; et, n'osant leur faire paraître qu'on les aime, on voudrait du moins qu'elles vissent que l'on ne veut être aimé de personne. L'on voudrait qu'elles sussent qu'il n'y a point de beauté, dans quelque rang qu'elle pût être, que l'on ne regardât avec indifférence, et qu'il n'y a point la couronne que l'on voulût acheter au prix de ne les voir jamais.
Admirez les imparfaits du subjonctif qui pointent le bout de leur nez sur ce blog aux frais de la Princesse. Puis toutes les complétives que qu',et les relatives...
Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles, continua t-il par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher; mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce qui est difficile c'est de ne pas s'abandonner au plaisir des les suivre... c'est de les éviter... et ce qui marque encore mieux un véritable attachement , c'est de devenir entièrement opposé à ce que l'on était, et de n'avoir plus d'ambition, ni de plaisir, après avoir été toute sa vie, occupé de l'un et de l'autre...
Nous avons là l'énoncé du béaba de la séduction : pour plaire il faut se faire désirer, donc feindre de n'éprouver rien pour la personne que l'on aime, et même en cas de rapprochement intime avéré, prendre soin de n'être jamais complètement disponible. L'autre vous désire pour autant que vous n'êtes pas tout (e) à lui ou à elle.
Mais le Duc ajoute qu'en réalité, il a renoncé à toute autre femme pour elle, Mme de Clèves, dont nous ne connaîtrons pas le prénom...ici des prénoms, il n'y en a pas.
Pour fuir sa passion, la princesse se retire à la campagne et vit en recluse. Son mari l'oblige à revenir à la cour. Nemours dérobe un portrait d'elle chez la Reine Dauphine ; il se blesse au jeu de paume et cette fois elle ne peut cacher son émotion.
Autre source de tourment : la lettre tombée de la poche de Nemours, apparemment adressée à une femme ! Nemours se justifie : c'était une lettre pour le vidame de Chartres, amant de Catherine de Médicis (cela ne veut pas dire qu'ils entretenaient un commerce charnel) et qui craignait sa fureur car il l'avait trompée. Le Vidame ayant demandé à Nemours de le couvrir, la lettre devait feindre de lui être destinée...
Mme de Clèves et Nemours écrivent ensemble une lettre de substitution. Moments délicieux...
Pourtant Mme de Clèves se retire à Coulommiers. Nemours trouve un prétexte pour s'y rendre au cours d'une partie de chasse.
Il s'introduit dans le pavillon et assiste à l'aveu de son amante à M. de Clèves. Nemours l'entend lui dire je suis courtisée par un autre, et j'ai de l'inclination pour lui, mais je ne réponds pas à ses avances.
La Princesse se donne des verges pour se faire battre...
M. de Clèves, qu'elle a rendu jaloux, espionne, et découvre qui est son rival. Nemours se confie au vidame sans dire le nom de son objet d'amour. On en parle à la cour. Les de Clèves s'accusent mutuellement de ces bruits.
Survient la mort d'Henri II suite à un duel : il avait fort stupidement forcé Gabriel de Montmorency à se battre contre lui, par jeu.
François II monte sur le trône de France. Catherine assure la régence.
Mme de Clèves se retire à Coulommiers, se querelle avec son mari. Nemours s'y rend à nouveau, suivi par un espion du prince. Après un parcours d'obstacles , il voit Mme de Clèves, sans être vu, et « a des preuves de son amour ».
Elle ne pense qu'à lui, croit le voir, ne lui fait pas signe, s'agite, ferme ses volets. C'est la deuxième fois qu'il la contemple et s'imagine on ne sait quoi, sans être vu.
Le Duc est un "voyeur" avant tout.
Informé par son espion, M. de Clèves croit que sa femme l'a trahi, tombe malade et meurt.
Nemours demande en mariage cette jeune veuve de vingt ans. Elle refuse, persuadée que si elle lui accorde tant, il se détournera d'elle. Elle lui dit seulement « devoir se retirer au monastère par devoir envers le défunt et pour son repos personnel". Et elle entre au couvent et n'en sort plus!
Cette chute est quelque peu invraisemblable; tout comme l'est le récit que Mme de Clèves fit à son époux de sa passion pour un autre que lui...si un homme que vous aimez ,déclare éprouver la même chose, et vous propose de vivre avec lui, allez-vous refuser, sous prétexte que cela risque de ne pas durer???
Il faut croire que La princesse de Clèves était littéralement dévorée par la culpabilité. Cela explique son comportement névrotique à l'excès. La pauvre jeune femme renonce une deuxième fois au peu de bonheur qu'elle pouvait espérer sur terre.
Une fin bien triste.