Charles Dantzig « Dictionnaire égoïste de littérature française « Grasset, 2005.
Ce dictionnaire compte 1000 pages.
Il est l'oeuvre de Charles Dantzig. Je ne savais rien de lui, même son nom ne me disait rien, avant d'avoir eu ce bouquin sous les yeux à la Fnac au rayon
littérature biographie.
Je l'ai pris et l'ai feuilleté à la cafétéria pendant une heure au moins. Je ne me suis pas ennuyée un seul instant! Dantzig présente un corpus constitué de noms
d'auteurs, de genres littéraires, d'habitudes de lecture, d'objets en rapport avec la lecture ou l'écriture, de mots concernant l'édition, d'idées reçues et de modes. Il commente tout cela avec
humour, fantaisie, soutenu par une vraie culture et une certaine indépendance d'esprit.
On réagit vivement, comme dans une conversation : ça c'est bien vrai ou encore il n'a rien compris, parfois c'est pas bien neuf ce que tu dis!
On a envie de réagir, oui, à la plupart de ses notices, c'est le genre de livre que l'on a furieusement envie d'annoter! On regrette que l'auteur ne soit pas
avec nous pour discuter. Bref, c'est le genre de bouquin que tu ouvres lorsque tu te sens seul, que tu n'as rien à te dire, que tu t'écoutes et que rien ne vient. Dantzig remédiera facilement à
cette panne. Il va te relancer!
Par ailleurs, il parodie quelquefois les auteurs de maximes, façon La Rochefoucauld ou Chamfort, avec plus de souplesse.Il se fait critique littéraire,
mais parle aussi de la société, appporte sa vision du monde, laquelle n'est pas exactement ce que tout le monde rabâche à longueur de journée.
Charles Dantzig est l'auteur de plusieurs romans( dont je n'avais aucunement entendu parler), mais, l'ayant trouvé je l'élis pour la conversation.
J’en ai extrait quelques tranches pour vous les faire partager.
Avec parfois de petits commentaires.
Ennui : quantité de gens se marient pour la même raison qu’ils lisent : ils s’ennuient. Aussitôt s’anéantit le romanesque de l’amour ; marié on se rend compte qu’on est le même avec du poids en plus. Les membres du couple s’ennuient. Ils se remettent à lire. La facilité du divorce a réduit le nombre de lecteurs de romans.
Quand on s’ennuie en écrivant c’est mal écrit.
L’ennui : un plaisir stérile.
Un monde drogué de distractions lit beaucoup moins qu’un monde où il faut remplir les jours.
Eprouver de l’ennui, c’est se montrer prudent pour un lecteur : je m’ennuie je n’ai pas compris.
« Plutôt l’ennui qu’un plaisir médiocre » Gourmont (« Des pas sur le sable … » promenades philosophiques.
Candide assomme le roman picaresque (depuis Lazarillo) ensuit Thackeray l’achève avec Barry Lyndon »
En 1995, le gouvernement anglais a aboli le prix unique du livre : la médiocrité a envahi l’édition : les grandes chaînes ont tué les librairies indépendantes. On ne trouve plus que Dillons Foyles et Waterstone. Le best-seller y acquiert de la postérité.
Je pense en effet que les best-sellers, on en parle davantage qu'auparavant. Les romans fabriqués pour la consommation courante, sont sur-médiatisés. Tout ce
qui autrefois s'appelait " bibliothèque bleue", "littérature de colportage", ou plus tard " roman rose", était beaucoup lu mais l'on n'éprouvait pas le désir de le commenter. Maintenant on
va disséquer ces textes; les faire étudier en classe . Et l'on confond cette littérature avec des textes plus exigeants. Ce qui m'énerve le plus, c'est de voir ces auteurs être salués par des
critiques qui ne font plus la différence.
Ma parole! ça pourrait être un sujet de dissert . Ce type de phrase qui paraît tellement évident mais dont on ne tient en principe pas compte. Et l'envie qui nous vient de démontrer le contraire...!
Charles Dantzig n’aime pas l’Oulipo. « La poésie qui ne sait que jouer est la plus indigne des facéties ».
Pas d’accord : le jeu est au centre de la poésie, mais c’est un jeu sérieux. Il est vrai que l'Oulipo va parfois trop loin. Avec l'Oulipo Pérec a écrit les meilleurs choses du monde ( comme La Vie, mode d'emploi),
mais aussi 53 jours et la Disparition qui me laissent froide.
C’est un art qui a ses règles qui ressemblent à celles de la poésie : Paul Zumthor l’appelait « poésie orale ». Dire que ce n’est pas de la poésie est sans intérêt : le mot poésie est sujet à des interprétations très variées. Depuis l’acception grecque …
La Politique, dit Stendhal c’est un coup de pistolet dans un concert » (Le Rouge et le Noir).
Ce « coup de pistolet dans un concert » me fait penser à Hitchcock, « L’Homme qui en savait trop ». Une scène fameuse....
Le style Bible : et + imparfait. Savoir dans le sens de comprendre.
Connaître à la place de savoir.
Connaître à la place de copuler aussi
Code civil. Le droit n’apprend pas à écrire mais à ne jamais accepter quelque écrit que ce soit sans en avoir vérifié la source.
Ecole normale : l’érudition facétieuse : exposer des connaissances en plaisantant.
Peur de rater l’examen que l’auteur croit passer en permanence.
Des journalistes : avoir peur de répéter un « demeurer « après un « rester »
Des « avouer » après « un dire »....
Des journaux : Libé a longtemps écrit en style Duras même inconsciemment avec les adverbes de conviction : forcément évidemment.
Voilà qui est daté : Libé écrit en Rotschild (sauf Pierre Marcelle) et Le Monde en Lagardère bientôt tout le monde écrira en Sarkozy…
Style maritime : plaît parce que spécialisé : vergues, hauban, cacatois, drisses, écoutilles, tous les styles spécialisés sont descendants de l’héraldique.
Le sujet : c’est le déclic qui ouvre le fichier « imagination » de l’écrivain. L’histoire n’est qu’une excroissance des personnages.
Sade : Justine un des romans célèbres les plus mal écrits de la littérature française. Années 60, il devient une gloire ; mais c’est la dégénérescence du style de Racine, l’influence de Rousseau, les cadences latines, et relatives. Bourré de clichés, de mots répétés, rabâchage de corruption, crime, scélérat… trop de superlatifs, préciosité c’est du Greuze.
Greuze : sa petite fille à la cerise! Imaginez là chez Sade! non je n'y réussis pas. Sade ne me laisse rien imaginer du tout.
Julien Sorel : je me représente lisant un livre en haut d’un arbre dans un équilibre précaire pendant que mon père qui fait marcher sa bétonnière risque de m’appeler : « Fainéante ! Tu lis encore ! et envoyer le volume dans l’eau ».
Le père est un « manuel » disent parfois ces gens-là avec un orgueil plein de ressentiment envers ceux qui lisent des livres.
Il a plus de punch que Montaigne, plus de ferveur, et bien du mérite à l'avoir lu!
Les surréalistes : il les trouve trop sérieux et appliqués et Apollinaire celui qui a trouvé le mot est le seul qui lui plaise.
Goût de la contradiction: les surréalistes synonyme de fantaisie,d'imagination débridée, et supposés ne pas aimer les régles, présentés comme des
tâcherons! Ou plutôt comme des artistes qui ont trop souvent appliqué des recettes, et créé des dogmes sans le vouloir!
Chez les surréalistes je n'aime que les dissidents. Ceux qui ont été surréalistes un moment, qui en ont tâté et qui ont fui.
C'est vrai qu'Apollinaire me reste cher.