A proximité du robinet où l’on branche le tuyau d’arrosage, l’eau est fraîche presque froide, potable, c’est la meilleure boisson qui soit pour la
journée. On boit à même le robinet ; parfois, l’on tend les lèvres à l’extrémité du tuyau d’arrosage, lorsque l’on obtient un débit moyen.
L’on est assis sur une des allées d’herbe, qui quadrillent la partie basse du jardin ; d’un côté se trouve le cerisier, de l’autre le plan de fraisier. Il donne relativement peu et l’on
n’est pas autorisé à s’en restaurer sinon la cueillette hebdomadaire n’aura plus lieu d’être.
Certaines fraises sont blanches et d’autres jaunes pâles ; on s’autorise à les goûter car elles ne sont pas de la couleur attendue ; vérifier qu’elles sont aussi savoureuses
que les autres.
On a son livre de poche avec soi ; « le Procès » de Kafka. De source autorisée on a appris que c’était l’un des plus grands livres du vingtième siècle.
Nos parents n’en savent rien !
Grand-père lit le Figaro, Mammie Femmes d’aujourd’hui, la mère est plongée dans un traité d’homéopathie, le beau-père se la
joue SAS.
Pauvres gens.
On est assez fier de soi.
L’on monte difficilement chez le peintre, dont Joseph K. espère de l’aide pour son problème judiciaire ; l’atmosphère est irrespirable, comme partout ailleurs, des relents de moisi, d’alcool peut-être ? Et toute cette poussière accumulée! Il ne fait pas bon être asthmatique. On tourne le robinet à nouveau pour se rafraîchir.
La nuit, il est plus agréable d’ouvrir le meuble à liqueur dans l’entrée, et, bravant l’obscurité, les couples qui ronflent ou soupirent
dans leurs chambres, qui s’adressent sans doute des remarques lasses cent fois répétées, leurs possibles curiosité, les émois de l’horloge, et les craquements du meuble, l’on se saisit
d’une bouteille plate contenant de la liqueur de framboise ; mais il en reste si peu que l’on n’en prend qu’une gorgée ; ensuite l’on goûte le Martini, cela ne nous plaît guère, la
Suze, c’est encore plus âpre, la carafe de Porto, il est nécessaire d’en réduire la consommation à un tout petit fond de verre car cette bouteille ne sert pas à la figuration ;
ils en consomment assez régulièrement.
Reste le flacon de Schnaps qui vous incendie l’œsophage.
Le retour dans la chambre rose au premier, au fin fond du corridor, permet de constater quelques pulsations cardiaques accélérées, un peu de chaleur, un début d’ivresse modeste que l’on renforcera par la consommation de six à sept Gauloises à moins que ce ne soient les Gitanes dont deux paquets occupaient l’assiette à midi, suite à quoi l’on a remercié l’aïeul généreux.
On ne lit pas, on s’exalte.
Le lendemain à côté des parterres de pensées mauves et pourpres, très près de la maison cette fois, c’est « L’Introduction à la psychanalyse »de Freud qui nous occupe. Nous sommes ravis de lire que nous ignorons presque tout de nos véritables pensées ; à vrai dire nous le savions déjà et il semble que l’on prêche une convertie. Nous pensons à notre famille avec pitié : pauvres gens qui croient dur comme fer dire ce qu’ils pensent et penser ce qu’ils disent, qui s’imaginent pouvoir mentir et dire vrai à volonté !
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