Régis Jauffret Fragments de la vie des gens Seuil (Verticales), 2000.
Ce sont 59 nouvelles dont les héros (introduits à la troisième personne singulier pluriel, ainsi que le « on ») ne sont pas nommés, même si l’on pénètre dans leurs intimité. Cette façon de n’utiliser que des pronoms personnels « impersonnels », évoque un groupe anonyme qui n’est surtout pas une communauté.
Ces personnes sont dépressives, suicidaires, ou simplement vivent mal leur quotidien jugé morne et ennuyeux.
C’est la Vie mode d’emploi de personnages qui sentent le grand vide de l’existence comme le Percival Bartlebooth de Pérec, mais qui n’ont pas la volonté l’occasion ou le moyens financiers d’organiser un grand projet à étapes permettant de travailler sans temps mort.
Ils vont donc s’occuper à de petites besognes que nous connaissons bien : une vieille dame s’occupe en croyant entendre des gémissements à l’étage en dessous : elle tente de les identifier, bâtit des scénarii à propos de fantômes, ou de personnes séquestrées, agonisantes, maltraitées…
Tous les personnages imaginent des catastrophes la cessation de l’enfer quotidien, une mort violente, un homicide, une fuite, un retour… ou se perdent en hypothèses plus ou moins délirantes sur les pensées de l’autres, ses agissements réels… le tout est exprimé au conditionnel dont RJ fait grand usage.
Les images, actes, pensées se succèdent à un rythme d’enfer, Dans leurs imaginations les plus délirantes, quelque détail exagéré vient tempérer le « mélo » et le remettre à sa place, ironiser ou moquer les plaintes sans effacer leur gravité. Le lecteur est souvent saisi de brefs éclats de rire.
On apprécie également les dialogues de sourds, rudes, directs, qui viennent couper de temps à autre les narrations longues.
Parfois ces malheurs se produisent effectivement ou ont eu lieu par le passé.
Les premiers chapitres, écrits à la 3eme personne du pluriel concernent les enfants et leurs façons de voir les adultes. Ces visions du monde sont assez originales, en tout cas correspondent bien au problème enfantin de la réduction à l’effacement au milieu de leurs drames.
« Ils craignaient leurs lits, ces masses molles, mouvantes, où on pouvait disparaître dès qu’on s’endormait. Au plafond, il y avait des fleurs, des raisins, et des pommes de plâtre, ils distinguaient aussi l’ombre des jardiniers prêts à les sarcler comme un coin de potager.
Ils avaient peur, ils serraient des peluches contre leur poitrine. Ils faisaient croire que ces fausses bêtes pouvaient jouer les gardes du corps, alors qu’elles se révolteraient contre eux , appelant à la rescousse le dromadaire en laine, le gorille en chiffon jaune l’éléphant en plastique et même les tabourets, les cheminées, les fenêtres.
Ils n’aimaient pas ce rôle qu’on leur faisait jouer, ces vêtements, ces coupes de cheveux, et toutes ces pitreries auxquelles ils devaient se soumettre quand on les amenait à l’école. "
Même si le livre repose sur quelques procédés narratifs et grammaticaux voyants, on ne s’ennuie pas. Après tout cette humanité souffrante, burlesque, absurde, c’est la nôtre, on s’y reconnaît. Ces fragments ont des accents de vérité.
De Régis Jauffret, j’ai lu aussi Asile de fous, et Clémence Picot qui m'ont beaucoup intéressée .
Je n’en lirais peut-être pas d’autres.
Car, à présent, Régis Jauffret a tendance à réécrire le même livre avec toujours plus de pages et j'avoue hésiter à me lancer dans ses "Microfictions".
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