Törless a seize ans, il a été envoyé par sa famille dans une école privée de l’Autriche Hongrie orientale « à la frontière de la Russie » où l’on accueille les riches bourgeois et les aristocrates. L’endroit est désolé et aride. Cette description fait l’incipit du roman.
Le nouveau pensionnaire a deux camarades plus âgés que lui, Reiting et Beineberg, qui s’entendent pour échafauder de dangereuses utopies. Beineberg est passionné de philosophie orientale. Son appréhension du bouddhisme lui en fait tirer une morale extrémiste inspirée de l’organisation de la société hindoue en systèmes de castes.Il est persuadé qu’il faut être indifférent au monde et aux sensations. De ses lectures, il a déduit qu’il existe des êtres inférieurs et des êtres supérieurs. De ces derniers, il estime faire partie. Il se livre à des exercices de méditations et d’ascétisme dans un grenier désaffecté, cachette qu’il partage avec Reiting, et dans laquelle Törless se trouve admis.
Reiting aime surtout les complots et les intrigues pour se désennuyer de l’existence d’interne.
C’est lui qui a l’idée de tourmenter Basini, un élève moins fortuné qu’eux, et à priori moins favorisé intellectuellement, de par ses origines modeste.
Il a commis un petit vol et les autres le font chanter menaçant de le dénoncer s’il ne cède pas à leurs caprices.
Ils le torturent, le soumettent à la question, pour obtenir un aveu, usent de violences physiques et morales, et lui font exécuter des actions abjectes et stupides.
Basini semble croire que se dénoncer serait pire que de subir la torture.
Il sait que Beineberg et Reiting peuvent le faire tuer par leurs camarades, aptes qu’ils sont à chauffer le groupe.
Le rôle de Törless est celui d’un observateur. Ses deux amis lui confient leurs projets délirants, l’apprécient parce qu’il est voyeur de leurs manigances, croient lui en imposer ( ce qui n'est qu'à moitié vrai...) et ne se méfient pas de lui.
Avec raison au début, car Törless éprouve un mélange de fascination, dégoût, et curiosité pour ces mises en scène sadiques dans les combles de la pension, huis clos où aiment à se retrouver les adolescents qui ont décoré le grenier et l'ont plongé dans une obscurité trouée de torches baladeuses, créant une atmosphère dramatique.
Törless éprouve de l’attirance pour Basini, il aura des contacts sexuels avec lui comme ses deux comparses. La sensualité se fixe aussi sur certains gestes et attributs de ses camarades, sur une prostituée de rencontre.
Musil dira que rien n’est plus éloigné de lui que l’homosexualité. A présent ces dénégations font sourire. Il est vrai toutefois que l’homosexualité de Törless est différente de celle du Tonio Kröger de Thomas Mann, autre adolescent célèbre contemporain de Törless.
L'objet d’amour de Thomas Mann (lisible dans Tonio Kröger) est vraiment un jeune garçon, que l’on retrouve dans Mort à Venise, ou les Buddenbrock.
Celui de Musil est sa sœur qu’il n’ a pas connue, personnage central de L'Homme sans qualité. De cette sœur il est déjà question dans Törless.
Lorsque Basini est livré aux autres élèves, Törless se décide à intervenir pour lui sauver la vie. Lui assurant la protection des dirigeants de l’école.
Basini est renvoyé à sa mère, Törless demande à partir. Les deux principaux responsables ne sont pas inquiétés.
L’ouvrage se clôt sur une nouvelle attirance de Torless, pour la philosophie kantienne, dont on ne sait ce qu’il va en tirer.
Une séquence anticipative dans le roman permet de constater que Torless devenu adulte, et rendant compte de cette expérience de jeunesse à un ami, n'a pas de regret de sa conduite de l'époque qui fut loin d'être acceptable. Car il était complice de ses camarades sadiques, et ce qui le fit intervenir n'est pas une réaction morale ni de la pitié pour Basini, mais seulement le fait que l'expérience ne l'intéressait plus, qu'il avait percé à jour ses camarades.
On se demande si Torless n’aurait pas pu devenir, non pas Kant, mais plutôt... Heidegger ?
Musil a eu de l’ambition dans ce premier roman : il voulu faire œuvre esthétique ( « un livre sur le clair-obscur » réussi) psychologique ( les complexités de l’esprit de Torless intéressent encore, malgré que Musil se soit tenu à l’écart de la psychanalyse qu’il détestait, et évite ce langage) et enfin œuvre politique.Il a montré comme il l’a dit plus tard « les dictateurs in nucléo » en Reiting et Beineberg, et en Törless le philosophe appelé à soutenir le régime nazi, sans conviction, sans état d'âme non plus...
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