Il y a trente ans, presque jour pour jour, que mourait Fritz Zorn, auteur zurichois d’un unique ouvrage autobiographique, « Mars ». Né le 10 avril 1944, il n’avait que trente-deux ans à son décès.
« Zorn » est un pseudonyme pour « mépris » ; Mars évoque aussi des sentiments de violence. Le vrai nom de Zorn est Fritz Angst, et ce mot de Angst c’est l’angoisse. Une angoisse, qui, mêlée au courroux, à la rage qu’éprouve l’auteur, court à travers le récit.
« Je suis jeune, riche et cultivé et je suis malheureux névrosé et seul… toute ma vie j’ai été sage… naturellement j’ai aussi le cancer, ce qui va de soi…» l’incipit a été souvent cité. Des phrases provocantes et ingénues à la fois, mêlant la dérision et la révolte.
L’auteur prévient qu'il ne relate pas son autobiographie, mais l’ »histoire d’une névrose ou du moins de certains de ses aspects. »
Cependant, décrivant son état et les origines supposées de celui-ci,comme il n’est pas clinicien, il se retrouve autobiographe.
D’emblée il annonce que la maladie dont il souffre, un cancer, est l’expression somatique de sa névrose. Il veut s’approprier ce cancer comme son symptôme, l’objet qu’il peut aimer et comprendre.
D’où cette formule que la tumeur est une métaphore de ses « larmes non versées». Mais à propos de quelle perte particulière, les a-t’il retenues, nous ne le savons pas.
En tant que malade il veut coexister le moins mal possible avec son affection, lui donner un sens, et peut-être en donner un à sa mort, qu’à juste titre il suppose proche. Beaucoup d’affections sont suspectées d'avoir des causes psychosomatiques, mais il est impossible de le prouver scientifiquement. Il serait irrationnel de penser qu'un cancer se développe par le seul fait de l’existence d’une névrose. Mais, dans le cas présent, aucune cause biologique n'a pu être trouvée...
Pour en savoir plus, on eût dû laisser la parole au psychothérapeute de Mars, mais celui-là n’a rien su faire de mieux que de lui administrer l’extrême-onction, à sa manière profane, en lui certifiant que son livre serait publié après sa mort.
Révolte, colère, mépris : mais cette révolte fut d’abord rentrée comme en témoigne le 1er chapitre « Mars en exil ».
Mars évoque son enfance et sa jeunesse à Zürich : il est révolté contre sa famille qui l’a « éduqué à mort ».
Il épingle les formules langagières que ses parents utilisaient lorsqu’ils ne voulaient pas approfondir un sujet. Cependant, il ne dit rien de précis permettant de se faire une idée de ses parents, camarades ou professeurs, et les filles « avec lesquelles les relations n’ont pas marché ». On apprend seulement que son petit frère avait acheté un « mauvais disque « le Tango criminel » alors que lui, Mars, n’a jamais osé écouter de mauvais disques , persuadé que la musique classique vantée par les adultes était le bon choix.
Maintenant il regrette le Tango Criminel,( j'adore ce titre...) et c’est trop tard.
Mars a fait un doctorat en langues romanes, est devenu professeur d’espagnol, retrouvant timidement la langue du Tango Criminel.
A part cette métaphore que je trouve belle, il ne met rien en situation, ne relate aucune scène, peut-être parce qu’il craint d’être reconnu.
Il témoigne toutefois avoir toujours été absent à ce qu’il faisait, absent à soi-même. On le ressent dans on écriture, non pas « blanche » mais sans couleur.
Cette écriture mélange naïveté et ironie, avec de nombreuses répétitions de phrases aux variations minimes, fourmille de paradoxes parfois un peu faciles :
« Pourquoi aurais-je voulu me suicider, la vie c’est donc différent de la mort ? »
En effet, à la vue d’une tumeur qui grossissait rapidement, il n’a pas voulu consulter, attitude suicidaire.
S’il avait vécu, , il aurait pu cultiver son goût pour l’aphorisme et écrire des maximes. « J’ai été éduqué à mort » est une formule qui laisse à penser.
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