Emmanuelle Pagano « Les Adolescents troglodytes » POL, 2007.
Adèle, la narratrice conduit un bus scolaire dans une nature rude, montagneuse, épargnée par la civilisation, qui peut évoquer les Causses, le Vercors… Au gré de ses trajets et de ses pauses elle monologue longuement : observation inquiète et amicale des scolaires qu’elle transporte, filles et garçons de 2 à 15 ans, vivant comme elle dans les environs, une nature belle mais souvent hostile, qu’elle aime sans l’idéaliser.
Son esprit vagabonde en flash back jusqu’à son enfance ; un frère Axel, la mère décédée lors d’un accouchement difficile ainsi que le bébé.
Elle évoque son opération, elle qui, jusqu’à l’âge universitaire, était un garçon et ne pouvait se sentir que fille.
« J’ai été la petite sirène de ma mère »
L’enfant se rêvait « fendue de douleur » comme la sirène du conte.
Nous avons tous un sexe biologique auquel nous essayons de ressembler psychiquement. Nous avons coutume de nous identifier vaille que vaille à ce comportement social et sexuel qu’implique le fait d’être né fille ou garçon.
L’anatomie ne conditionne pas le psychisme. La nature et la culture ne se confondent pas. Le fait que certaines personnes n’acceptent pas « leur sexe », nous fait prendre conscience que même si nous nous sommes suffisamment accommodés du nôtre pour le supporter voire l’apprécier, vis à vis de notre corps, nous éprouvons parfois une étrangeté irréductible.
Et pourtant, Adèle y a cru,
Elle détaille toutes les souffrances qu’elle a endurées pour accéder à une vie qu'elle juge à peu près acceptable.
Et aussi comment elle fera face à l’incompréhension des gens qui, peu à peu, vont apprendre qu’elle n’est pas une femme comme les autres.
Adèle fréquente un homme, un chasseur, avec qui elle réussit à avoir des relations sexuelles, et qui ne s’aperçoit de rien.
(Difficile à imaginer…)
Je préfère lorsqu’ Adèle évoque sa relation complexe et conflictuelle avec son frère qu’elle aime toujours et réciproquement.
Le frère, géologue et alpiniste, affronte les éléments avec un courage physique, une virilité qu’apprécie Adèle.
Mais lui est effrayé par la démarche de son frère devenue sa sœur. Comme, avouons-le, nous le sommes un peu tous.
Raison de plus pour ramener à la surface leur ancienne complicité d’enfants.
« S’il venait à moi les yeux pleins, je me levais en répondant à ses questions aphones.
Les bavardages étaient ramassés pour jamais autour du temps.
On avait plusieurs hypothèses, des sucs de mots en silence, le souffle émondé, les excuses silencieuses de la montagne.
La nature, Adèle ne veut pas en parler comme pour une carte postale.
Elle en décrit les dures nécessités, la difficulté d’y vivre, la joie aussi.
« L’automne de littérature, il ne dure pas. La flamboyance, les orangés lyriques des fayards, les ors brillants des saules, les verts acides mangés de soleil sur les bouleaux les rouges massifs étalés écarlates des érablières, ou à l’inverse, les rouges en pointillés et piquants des érables isolés dans les jaunes des autres arbres, juste le temps de la décrire le temps pour le vent de retourner au sol quelques feuilles et 2 ou 3 trajets avec mes gosses c’est fini.
Il est intéressant de remarquer que Sylvain, l’adolescent qui connaît l’histoire d’Adèle et la raconte à tous, lorsque le refuge dans la grotte autorise un certain rapprochement, Sylvain donc, qui admet parfaitement la démarche d’Adèle, se comporte lui-même comme un macho, en tatouant son doryphore sur la nuque de son amie, et annonçant que par ce geste, il pose son sceau sur son territoire avec l’assentiment de la jeune fille. Ils sont très tolérants et, cependant se comportent de façon traditionnelle…
Dans l’ensemble, l’expression est souvent juste, la langue est belle, recherchée, mais toujours sobre.
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