Lorsque j’eus cinq ans, on me conduisit à l’école chaque matin au pas de course. Maman l'appelait l'« école Montessori » parce qu’on y appliquait les méthodes éducatives de cette dame. Le nom réel était sans doute « Cours Bernard Palissy ».
On traversait deux boulevards extrêmement dangereux (Pereire et Berthier) et dès la rue Eugène Flachat, j’avais envie de pleurer...
"Je te préviens, tu n'as pas intérêt à…Sinon…".
C'était déjà ma troisième école. Je me souvenais des précédentes, d'avoir fait des taches d'encre sur de petits cahiers quadrillés, dessinés des bâtons brisés, des lettres tremblotantes. J’avais réussi une fois à me faire mettre au piquet, après maints efforts pour parler haut et troubler l'ordre, afin que mes camarades s'intéressent à moi. Sans résultat durable. Des instituteurs se plaignaient à Maman de mon comportement. Elle faisait toujours écho d'une voix tranchante : " Oh, je sais très bien…" et promettait le châtiment, la reprise en main.
A l'école Montessori il y avait trois sections. Je fus admise chez les Grands.
Le matin, chaque élève devait choisir son atelier. Je n'en choisissais aucun, craignant de déranger ou d'être dérangée, et jugeant que de toute manière ce serait infructueux. Je n'étais attendue dans aucun de ces groupes. Je cherchais juste un petit coin où me dissimuler. Cette attitude provoquait l’apparition d’une institutrice ou d’une assistante maternelle. Je la suivais et fréquentais toujours le même atelier, en me livrant à la même activité : compter.
En fin d'année, je ne connaissais toujours pas l'atelier de lecture. L'institutrice qui présidait à ses destinées, était une grande femme osseuse, rigide, toute droite, vêtue d'une robe anthracite rectiligne : lorsqu'elle s'approchait, c'était un pan de mur sombre qui s’avançait vers vous, implacable comme une déferlante. Votre souffle en était coupé.
Cette personne dirigeait l'établissement. Elle m’avait assez vite repérée. Je n'avais jamais de matériel de classe ni règle, ni crayons… ne parvenais pas à me procurer une simple trousse d'écolier. Tantôt je n'osais en demander une, tantôt je l'avais déjà perdue, si ce n’était un autre écolier qui s’en était emparé. Selon son humeur, Maman ne voulait pas en acheter une autre. Elle avait déjà donné, ou ne voyait pas l'utilité de cet accessoire dans une classe maternelle.
La jeune institutrice qui venait me chercher chaque matin était elle aussi passablement effrayée par la Montessori, et passait beaucoup de temps à ramasser tout objet traînant à terre pour le fourrer en hâte dans un casier quelconque. Il lui advint de trouver une vraie trousse, avec un contenu adéquat, une trousse inemployée, une belle trousse qui consistait en une petite boîte rectangulaire, de couleur jaune, citronnée et ensoleillée. Je regardai cet objet qui devait me sauver, et son contenu que l'on examina : gomme, crayons noirs, couleurs, taille-crayon brillant, règle plate et graduée, autant de trésors sortis d'un coffre. La jeune femme blonde serait très heureuse de me l’offrir. Un instant d'hésitation rendit possible et même effective la disparition de la trousse que d'autres mains avaient furtivement et prestement saisie avant les miennes.
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