Juin arriva. La Montessori fit accompagner mon départ d'un discours où perçait la note du scandale. Haute, droite, jamais elle ne pencha le bloc monolithique de sa personne, pour se plaindre à Maman de ma conduite. Je n'avais même pas appris à lire! Cela m'étonna, je ne savais pas au juste ce que qui m’était demandé. Rien n'était imposé aux élèves. S'ils n'avaient pas envie de travailler, ils jouaient, et tout travail était également présenté comme un jeu. Cette liberté faisait partie d'une pédagogie avancée. Je n'avais aucune excuse, on m'avait bien reçu, on m’avait témoigné de l'affection, on m’avait proposé des activités, on avait tenté de m'intéresser.
Je n'avais pas du tout compris ce qu'on attendait de moi. Sachant qu'on m'envoyait à l'école parce qu'à la maison je ne faisais que crier, pleurer, me cacher sous les meubles, les enfants nés après moi pâtissant de cet exemple déplorable, sans compter que la surveillance opiniâtre de Maman pour éviter les catastrophes, sa recherche incessante des bons médicaments l'occupaient tout entière.
Et puis le verdict tomba. Il aurait fallu savoir lire. « Elle a déjà six ans » disait la Montessori d'une voix rêche.
Les grands hommes disent: j'ai toujours su lire, je ne me souviens pas d'avoir appris. Avant même l’âge des souvenirs, ils lisaient. Jean-Jacques qui lisait avec son père. Marcel, qui assistait tous les jours à la classe de son père. Sans effort ni ennui particulier, il sut lire à la fin d’un trimestre.
Si c'était Maman qui payait les frais de scolarité, elle n'en avait pas pour son argent. Toutefois Maman ne se sentait pas dans son droit : elle ne faisait pas partie des nantis qui peuvent réclamer. D'autre part, elle n'attendait rien de cette école sauf qu'on la délivre quelques heures par jour d'un fardeau encombrant. Elle s'énerva, se sentit accusée, joignit ses plaintes à celle de cette femme, promit et jura qu'elle allait réparer le dommage causé.
Elle recruta une jeune fille blonde aux cheveux longs. Et fit tomber la sentence : " Il faut que tu sache lire dans un mois, le 31 juillet au plus tard avant minuit. Sinon… »
Je ne me vis pas exister encore au-delà de ce trente et un. Il était impossible que je susse lire à cette date. Mon histoire pleine de bruit et de fureur ne pouvait que s'arrêter là.
commenter cet article …