Martin Amis « Guerre aux
clichés », recueil d’articles critiques (1971-2000)
Gallimard, 2007.
C’est très plaisant : contrairement à beaucoup de critiques français (écrivains ou pas) Amis n’ennuie jamais son lecteur en faisant des chroniques de livres. Il fait preuve de verve, d’humour, d’ironie féroce, d’un sens maîtrisé de la digression, et l’on rit souvent.
Voilà des critiques vraiment démocratiques. Il a cette qualité précieuse de se mettre à la place du lecteur ordinaire, lorsqu’il parle des grands
textes, et minimise la culpabilité du lecteur qui n’a pas pleinement réussi à apprécier l’un ou l’autre des grands romans sacralisés.
Les textes sur « Cinq grands romans incontournables » vont nous concerner tout d’abord puisqu’il s’agit des ces chefs d’œuvres de la littérature que l’on a tous lus ou essayé de lire, avec des fortunes diverses.
Don Quichotte : (« la lance brisée »)
« Lire Don Quichotte équivaut peu ou prou à recevoir la visite du vieux barbon de la famille : il s’attarde indéfiniment, multiplie ses petites farces… déroule le flot interminable de ces souvenirs et radote à l’envi sur ses horribles copains… »
et pour la construction « c’est un agglomérat qui procède simplement par accrétion… pas de suite, rien que du supplément… la bouillie primitive de la fiction : ça fume, ça glougloute, ça grésille de vie en puissance, ça grumelle de prototypes âcres et grossiers ».
un monument d’ennui, un livre écrit au temps où il n’y avait pas de roman, pas fait pour le lecteur…celui qui écrit ces lignes en sait quelque chose… il vient de le lire… !
« L’Ulysses de Joyce » :
il faut une semaine pour le lire en ne faisant que ça. Joyce a trouvé le moyen de n’écrire que pour son plaisir et surtout pas pour le lecteur. (Je pense que Amis est aussi un peu dans ce cas, il parle en connaissance de cause ! Certains de ses livres sont difficiles à aborder.)
« Son livre est un livre sur le cliché, sur les formules éculées et les tournures toutes faites, sur les métaphores figées … Ulysses parodie tout depuis le Curso Mundi jusqu’aux manchettes des tabloïds. Quel plaisir, du moins en théorie-de voir notre styliste accompli adopter le langage d’un huissier, d’un annuaire, d’un ivrogne ou d’un texte sacré… »
Ce point de vue n’est peut-être pas neuf, mais pour moi, il relance la réflexion sur Ulysses et mon approche de ce livre.
Martin Amis se moque volontiers des snobismes et des préjugés. Il se demande qui peut lire Joyce et à quel prix comment en tirer profit.
On s'interroge avec lui sur les raisons que l'on peut avoir de lire de la littérature ( en dehors des contraintes universitaires) sur ce qu'est une "lecture de plaisir", et à quel titre le
roman de Joyce peut effectivement en être une.
Philip Roth : « sa bêtise croît sans cesse depuis Portnoy, alors que son style a tendance à s’améliorer… » etc. mais ce serait une erreur de croire que Amis n’aime pas Roth, Joyce, ou même Jane Austen ( lecture intéressante aussi de Pride and Prejudice). Son goût pour ces auteurs dont il se moque apparaît dans la lecture, au moins entre les lignes.
Certains textes sont également réussis qui se développent autour de productions telles que Jurassic Park : l’envahissement par les dinosaures.
Même le livre des Records, lui inspire des pages assez plaisantes, avec des digressions loufoques…
Amis ne sacralise pas la littérature, même lorsqu’il voue une admiration particulière à l’auteur dont il parle (Nabokov, Bellow) et quelque critique que soit son attitude il aide à renouveler la vision que l’on a de telle ou telle œuvre, qu'il met en relation avec la société, la politique.
On préfère les textes sur « cinq grands romans incontournables »ainsi que la critique centrale sur les nouvelles de Kafka. .
Ceux qui ont lu DeLillo, Updike, Roth et Mailer (ce n’est pas mon cas) apprécieront aussi les pages sur ces romanciers américains.