En 1953, le cinq du mois de
janvier, la première de Godot : il se produisit un événement de peu d’importance qui n’eut guère d'effets sur les spectateurs ,ni sur les
interprètes, rompus à tous les types d’inconvénients et sachant y remédier.
Un troisième représentant de l’espèce humaine se trouva accidentellement sur scène, abandonné par je ne sais quelle grisette, ouvreuse, ou figurante qui avait accouché clandestinement dans une soupente après s'être plainte de maux d'estomac : La patronne, l'habilleuse, la costumière, avait fait mine d'y croire.. Mais, au lieu de déposer son fardeau tout enveloppé de papier journal, sous une porte cochère au petit matin, la pauvre Adèle le lâcha sur la scène, parce que c'est là qu'elle travaille, au théâtre, que voulez-vous! Ou parce qu'elle veut qu'il aie un peu plus chaud.
C'est le soir de la première pas question de faire un scandale : il faudra que les acteurs se débrouillent. Et les deux compères le découvrent . Ils continuent à jouer : ces acteurs chevronnés en ont vu d'autres, ils savent faire face, ce n'est qu'une péripétie.
Estragon.( Il se tourne vers Vladimir.) : Tiens? Regarde! Là…Là!
- Vld.( mécontent, lui montre son dos) : Tiens, quoi?
- Estr.( tremblant, voix bégayante): Bée… un bé…un bébé!
-Vld.( aperçoit la chose, y jette un bref coup d'œil irrité, se tourne à moitié vers Estr.) : Malédiction!
- Estr.( étonné): Qu'est-ce qu'elle a ma diction?
-Vld. ( secouant la tête) : Il va falloir s'en débarrasser. ( montre du doigt l'avorton) : on ne peut garder ça.
-Estr.( Geignant, voix traînante et suppliante) : Tu ne l'entends pas?
-Vld. ( met ses mains en cornet à ses oreilles) : Je n'entends que l'assistance qui toussoie et le plancher qui trembloie.
-Estr.( Timidement) : Tu l'entends pas…vagir?
Comment c'est venu?
- Vld. ( Désigne le trou du souffleur) : De là! Faut l'y remettre!
- Estr. ( Lève les yeux, s'écarte, recule, essaie de joindre ses deux mains) : Aïe !… ( craquements) Est-ce que tu ne disais pas …autrefois.?
-Vld. ( sévère) : Moi, je disais?
- Estr.( petite voix) : Que le royaume des cieux leur appartient?
-Vld. ( S'éponge le front, s'adosse à l'arbre) : L'arbre!
( Il tombe)
On avait dit qu'il y avait un arbre!
-Estr.( Il le relève) : Est-ce que je sais moi? ( Baisse les yeux.): Didi, qu'est-ce qu'on en fait?
-Vld. ( Très impatienté) : Je t'ai montré! ( Il désigne de son index pas très horizontal, le trou du souffleur) Aïe! ( Craquements) Tu le fais exprès! Dépêche-toi!
-Estr. : Moi tout seul?
Etc.. »
Les deux acteurs voulurent impérativement reprendre leur texte initial., là où ils l’avaient laissé. Ils donnèrent le marmot au souffleur, qui était une femme. Elle n ‘avait point d’enfant et ne s’en réjouissait pas. Le porta chez ses parents, de paisibles retraités, à quatre-vingt kilomètres vers l’ouest : Louins dans L’Heur, un petit village transi sous la neige… »
La femme l'appela Dominique...