Paul Auster (3/02/1947 à Newark ( New-Jersey).
Eléments biographiques
Diplômé de Columbia University, vit en France de 1970 à 1974, puis à Brooklyn. Il cumule les activités d’essayiste ( « The Art of Hunger » ; « White Space » de traducteur, de poète. ( « Unearth »), et de romancier.
En 1982 , « The Invention of Solitude » inaugure cette carrière de romancier, tardive par rapport aux autres activités. La trilogie new-yorkaise témoigne de recherches poétique et linguistiques. C’est avec « Léviathan » qu’il obtient le prix Médicis étranger en 1993.
L’Invention de la solitude .
Le récit se divise en deux parties : « Portrait d’un homme invisible « et « le livre de la mémoire ». C’est un roman autobiographique : l’auteur du livre et le narrateur sont les mêmes. Le récit n’est pas chronologique : le narrateur met en présence diverses péripéties et éléments qui lui paraissent se faire écho, entrer en résonance.
La mort du père est l’événement déclencheur qui ouvre le récit. Le narrateur vivait loin de son père et les contacts étaient rares et difficiles. Divorcé, ce père continuait à vivre dans la maison familiale pendant quinze ans tout en la laissant à l’abandon. Sa vie se déroulait ailleurs.
Le fils décide d’écrire sur son père, ayant l’impression que ce dernier ne laissait pas de trace, « ne faisait que se prêter à la vie ». Avant le mariage, à trente-quatre ans, il vit une existence mondaine, et reprendra ce mode de vie après son divorce. Sa femme se rend compte très vite que cette union est une erreur, mais elle a déjà un enfant et ne peut le quitter. Le narrateur a le sentiment de n’avoir jamais réussi à attirer l’attention paternelle. En revanche lorsque sa sœur veut consulter un analyste, le père s’y oppose violemment. Le fils le soupçonne alors d’avoir dissimulé quelque chose. Il enquête sur la famille du père, en particulier à partir d’une photographie où l’on a volontairement fait disparaître l’image du grand-père, disparition qui laisse une trace.
En 1970, il apprend la vérité : le 23 janvier 1919, sa grand-mère avait tué son grand-père à coups de revolver, en présence des enfants.
Ce grand-père, immigré d’Autriche, spéculateur dans l’immobilier, s’était séparé de sa femme depuis quelque temps. A la suite du meurtre la grand-mère tenta de se suicider, son beau-frère de la tuer…toutefois elle fut acquittée, mais poursuivie par son histoire passa le reste de sa vie à déménager, avec ses cinq enfants , tous unis en un clan. Le père du narrateur, devenu adulte travaille dans l’immobilier et réussit bien sa vie sociale tandis qu’en famille il est « absent » et silencieux.
II
Dans la deuxième partie, le narrateur évoque son existence à Paris. Il met en évidence quelques coïncidences mystérieuses. Il a occupé la même chambre que son père, juif, habitait pendant la guerre pour échapper aux nazis. L’espace extérieur reproduit pour lui l’espace intérieur : Amsterdam et ses canaux s’imposent comme la projection de l’Enfer de Dante, et renvoient aussi aux cercles de la mémoire et aux strates du temps.
Il sauve son fils de la mort-in extremis- et, là aussi, perçoit des similitudes entre sa vie et celle de Mallarmé qui perdit son fils dont la ressemblance avec le sien lui paraît troublante. L’esprit qui conserve dans l’écriture le souvenir, procède à une traduction du réel en fonction des structures mentales dont il a hérité : dans un texte, ce sont les autres qui parlent. Pourtant, il existe une vérité dont on peut chercher le lieu. Les coïncidences témoignent d’une cohérence que le mot « hasard » ne recouvre pas.
La mort du père introduit une rupture dans l’existence du fils : grâce à l’héritage, il se consacre à l’écriture. En retour, le fils cherche à donner au père une existence littéraire pour le sauver de l’oubli ; cela oblige à une réflexion sur les fonctions de l’écriture et sur une difficulté fondamentale à quoi elle achoppe. Est-il possible de décrypter l’énigme constituée par un être. Peut-on pénétrer la solitude d’un être, n’écrit-on pas une traduction subjective de la réalité, une déformation inconsciente des souvenirs ?La question du père aboutit à une remise en cause du lien de filiation qui structure la parenté et plus encore aux rapports humains. L’individu ne peut se penser qu’en référence à la collectivité. Le premier groupe humain connu est la famille.
Il recherche une explicitation du non-dit, à travers la parole publique émise sur l‘acte commis par la grand-mère. Cet épisode occulté apporte une information pour la compréhension du caractère paternel. Les données nouvelles font vaciller l’image première du père. D’abord indifférent au monde, il s’humanise dans un cadre social qu’il s’est défini. Cependant la somme des hypothèses logiques, rationnelles, ne parvient pas à résoudre l’énigme posée par un individu. En exposant les faits, on se rend compte qu’ils ne parlent guère.
Pour rendre cohérente son approche de la réalité, le narrateur décide que « l’univers n’est pas seulement la somme de ce qu’il contient, il est le réseau infiniment complexes des relations entre les choses. »Les séquences d’une vie peuvent répéter des épisodes déjà vécus par d’autres qui ont une sensibilité en commun. » tout paraissait se répéter. La réalité ressemblait à l’un de ces coffrets chinois : une infinité de boîtes contenant d’autres boîtes .Ici encore, de la façon la plus inattendue, le même thème resurgissait : "l’absence du père, cette malédiction »
Juif, le narrateur reproduit , en tant qu’individu, le modèle de la diaspora. Il n’a pas de lieu où se fixer, excepté l’écriture qui fixe la mémoire. Le passé, toujours présent dans le souvenir, transforme la solitude individuelle en un témoignage universel.
La réflexion est très poussée.
l'un des premiers ouvrages d'Auster, et celui que j'ai préféré jusqu'ici.
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