1993:
Dans « L’Age du rock » un documentaire illustré paru chez Gallimard (Découvertes), que j’ai acheté pour me remettre à niveau, je lis l’extrait d’un article paru dans Libé en 1990, à
propos de Dylan.
L’article est signé « Daniel Dobbels » on en donne des extraits :
« Il faudrait quand on pense à Bob Dylan se rappeler ceci (…) :
« Oui je suis un voleur de pensées, non pas , je vous prie, un preneur d’âmes…ce n’est pas mon affaire, m’asseoir et méditer à perte et contemplation de temps pour penser des pensées qui ne furent pas du pensé, pour penser des rêves qui ne furent pas rêvés… »
Qui a écrit cela ? je ne le sais toujours pas…
et ne plus chercher à instruire une sorte de faux recours en grâce où l’image fixe d’un homme se ranimerait au gré d’un souffle ou d’une vague déjà morts.
Dylan est ce voleur de pensées, toujours dans les parages et n’occupant un lieu, avant-scène ou studio, qu’accidentellement, jalousement, juste pour s’entendre sur un point, un seul, et qui, lui, doit être clair : « Tu te perds toi-même, tu réapparais, tu découvres soudain qu’il n’y a rien à craindre seul debout avec personne autour quand une voix lointaine, tremblante, indistincte, tressaille et t’éveille et te force à écouter… » (It’s Alright Ma)
Ce point là, c’est ce tressaillement, une voix indistincte, qui ne se laisse entendre qu’à ce moment incontrôlable d’une réapparition, réelle comme un rêve et dont sa voix, sa propre voix, doit enregistrer, traduire et produire l’écho. Dylan sait que lorsqu’il chante il est déjà pris entre deux feux qui ne brûlent pas les mêmes matières, les mêmes sens et les mêmes raisons. Il n’a rien à espérer de leurs lumières. Ou elles frappent trop fort, ou elles le noircissent.
Sa seule tâche, son unique travail, c’est de faire que cette voix tremblante (qui n’est pas la sienne) ne disparaisse absolument ni ne devienne l’inquiétante intimité de son chant. Il y a toujours dans uns chanson de Dylan interprétée par lui, le double mouvement d’une invocation et d’une révocation.
Que cette voix distante soit faible ou forte, rien ne justifiera jamais qu’il lui laisse toute mesure. L’une de ses chansons les plus énigmatiques le répète à l’envi : « I’m going, I’m going, I’m gone ». Et pourtant au moment même où le texte creuse une séparation irréparable, la voix maintient en elle une présence sans lendemain, sans fuite possible, lancinante. C’est ça qui rend – et uniquement en ce sens- la voix de Dylan inimitable : cette double injonction, ces deux lignes si profondément antagonistes qu’elle ne peuvent au mieux qu’endurer (…) leur malentendu. »
Ça nous fait un Dylan hégélien pensai-je. Rien de moins !
A vrai dire ce texte ressemblait à ce que j’avais déjà pensé mais en beaucoup mieux. Et je l’ai recopié de ma main car je n’avais pas d’ordinateur et j’étais mauvaise en dactylo. Du coup, je réécoute les chansons citées et je me procure Going going gone, qui figure sur un album qui ne me disait rien qui vaille.
De temps à autre j’écoute un peu de Dylan, mais je ne vais plus aux nouvelles. Daniel Dobbels a eu le dernier mot.
Mais voilà, on dit que Dylan est presque mort ; on entend ça un matin de mai, à la fin des années 90, en 1997 à la radio.
Le soleil brille désespérément.
Je me dis tiens, il vit donc encore ? J’achète Libé le soir : rien. Le lendemain et encore : toujours rien. Après tout me dis-je, il est peut-être tombé dans l’oubli. Sauf pour cette chaîne de radio, que je cherche en vain. En septembre, au JT, on aperçoit Dylan, tout de blanc vêtu, à côté du pape quelque part dans une cérémonie. Le pape a l’air surpris, on le serait à moins. Un album est sorti « Times going wrong » des chansons du folklore : assez agréables.
Lorsque François Bon préparait son livre sur Dylan, j’ai pensé « quel dommage que ce ne soit pas Daniel Dobbels qui l’écrive, ce bouquin ! » car le texte de l’article que j’ai recopié plus haut me parle davantage, même si je ne saurais pas l’expliquer (je n’ai jamais eu autre chose que ce fragment).
Quant à cette chanson « I’m not there », dont il parle, c’est à présent le titre d’un film. J’ai vu des extraits de Cate Blanchett interprétant dylan ; C’est elle le clou du spectacle. Les postures dylaniennes ont été minutieusement reproduites et la comédienne (que j’avais vue pour la dernière fois dans un film d’intérêt moyen « Chronique d’un scandale »), fait un travail de mime qui paraît réussi. Une femme pour jouer le Dylan de Blonde On Blonde, voilà qui fait monter la mayonnaise du fantasme.
Il me plaît de penser que cet androgyne là était en 1966, marié de fraîche date et venait d’être père…
Jamais, peut-être, n’en aurais-je fini avec dylan ! C’est pour moi, un peu comme l’Italie pour Stendhal ou la madeleine pour Proust.
Je ne pense pas pouvoir me faire comprendre ; aussi cet article restera t’il « caché », encore que publié, antidaté.
8 février 2008.
30/09/12 : on reparle du Nobel pour Dylan! Je pense que les gens qui répandent cette rumeur depuis deux-trois ans, sont convaincus,comme moi, que la "poésie orale",comme l'appelait Paul Zumthor, n'est en rien inférieure à la littérature écrite. Et ces convaincus lancent le nom de Dylan tous les ans, pour insinuer le doute et provoquer des réactions de colère chez les snobs et les bien pensants. Et c'est une bonne chose!
Quant au jury du Nobel on peut lui faire confiance pour célébrer un vrai bonnet de nuit comme le Tranströmer de l'an
passé.
Tout ce qui relève des productions de la Beat Generation et assimilés, sont de la poésie orale. Celle-ci nous est souvent livrée sous forme écrite, (comme les livres de Kerouac) raison pour laquelle, elle ne me touche pas. Ce qui est essentiellement oral est fait pour être dit ou chanté.
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