Kobo Abe La Femme des sables, roman de 1962. Traduction française : 1979 (Directement du japonais) Edition Stock (Cosmopolite)
Trois parties plus deux textes « sommation publique » et « jugement » sont des parodies de documents administratifs.
Avec en exergue « Evasion sans punition, évasion sans joie » .
Comme dans « Le Plan déchiqueté », un homme disparaît. Mais ici nous vivons l’expérience du point de vue du disparu, non de celui de l’enquêteur.
Niki Jumpei professeur est parti au bord de la mer pour une demi-journée avec un panier et un flacon de cyanure ; il a choisi un endroit désertique au bord de mer pour y fouiner.
Il espère trouver une nouvelle espèce d’insectes de la famille des cicindèles, catégorie qui ressemble à la mouche. On ne peut la débusquer que dans un lieu radicalement différent de ceux qui sont répertoriés.
D’autre part le héros, que le narrateur appelle « l’homme « tout au long du roman, est fasciné par le sable « ce solide qui est un fluide de huit millimètres de diamètre "
Le soir venu, il n’a rien trouvé.
Un vieux pêcheur qu’il croise, l’informe qu’il a raté le car, et, comme Jumpei demande l’hospitalité pour la nuit, le pêcheur le fait descendre dans un de ces trous de sable immense à l’aide d’un échelle de corde.
En bas vit une femme de son âge, trente ans, qui travaille la nuit à remplir des sacs de sable que des porteurs hissent dans des paniers jusqu’en haut de la falaise. Le jour, elle dort. Cette héroïne sera désignée sous le nom de « la femme »
Son travail est destiné à éviter l’enlisement et elle recommence toujours le même comme les Danaïdes vidant le tonneau qui va s’emplir à nouveau. Révolté tout d’abord, l’homme (son nom ne sera signalé que sur les documents officiels mentionnant sa disparition), refuse le travail et met au point plusieurs manières de s’échapper .
D'abord, il est tombé dans un piège, il ne disposait plus de l’échelle de corde lorsqu’il a voulu remonter.
Toutes ces évasions échouent : l’une d’elle fort longue le conduisent presque à la lisière du village après qu’il ait escaladé la falaise à l’aide d’une échelle confectionnée avec sa chemise. Mais il s’enlise dans des sables mouvants et doit redescendre dans le trou après avoir été « sauvé » par ses tortionnaires.
Sa rébellion (refus du travail de transport du sable) a pour conséquence la disparition des vivres et de l’eau qu’on leur apporte chaque jour.
Il doit céder sur ce point.
D’autres tentatives échoueront de même. Des années passent et l’homme s’habitue à cette existence ainsi qu’à sa compagne de vie. Un jour, elle doit être transportée à l’hôpital, et l’échelle de corde est restée là pour la première fois depuis le début de sa détention. L’homme en fait usage mais il va seulement voir la mer et redescend dans le trou. Il ne veut plus s’enfuir. Ce qui l’occupe à présent, c’est un piège à corbeau qu’il a fabriqué (d’abord en vue d’une évasion), et qui s’est transformé en réservoir d’eau, à cause d’un seau resté longtemps à plusieurs mètres sous terre. Il pense alors que pour son plan d’évasion « il a bien le temps ». Il ne repartira plus. Sept ans se sont écoulés.
I L’incipit, annonce la disparition définitive de l’homme ; ainsi que l’explication qui en est donnée par un de ses collègues : l’homme était parti se suicider sans même le savoir, il était schizophrène, il est anormal qu’il s’intéresse de si près aux insectes.
Cette partie comprend également l’installation forcée de l’homme dans cette vie précaire à lutter contre l’ensevelissement, et son essai d’escalader la falaise en l’éboulant. Il reçoit un projectile (black-jack) sur la poitrine lancé d’en haut et s’évanouit.
II Flic floc, floc floc ; quel bruit, quel bruit ? Le bruit du grelot !
Floc floc, floc floc. Quelle voix, quelle voix ? La voix du Diable !
L’homme reste longtemps couché, feint d’être plus malade qu’il ne l’est. Ensuite, il refuse de travailler, ligote la femme, et on leur coupe les vivres. En fin de compte il doit se mettre à l’ouvrage et compose même une sorte d’ode au travail.
Enfin après son plan d’évasion très mûri mais raté qui l’amène juqu’à la lisière du village, et qu’il est ramené à son trou, il est moins malheureux qu’il ne le pense…
III
C’est le dernier plan d’évasion la construction du piège à corbeau auquel il donne le nom d’espérance. Il creuse un trou au fond, y enterre un seau en bois recouvert d’un couvercle de fortune : trois bâtonnets, chacun d’eux noué à un fil très fin , qui se relient à un autre fil à l’extérieur. Un appât y est fixé. Le corbeau qui s’y prend est censé emmener une lettre à la ville, lorsque l’homme le relâche, comme le ferait un pigeon voyageur. Ce système parait très idéaliste et peu propre à la réussite ; de fait l’homme ne l’a réalisé que pour avoir un secret bien à lui. Il réussit à obtenir de l’eau en permanence au fond du seau.
Le roman s’achève : revenu de son escapade au bord de mer, l’homme contemple son réservoir du haut de la falaise : il s’en réjouit.
Ses plans d’évasion sont une activité intellectuelle et concrète qui n’a plus l’évasion pour but.
A première vue, on pense au mythe de Sisyphe. Tous les jours refaire le même travail, aboli la nuit. Remplir les sacs de sable, et recommencer la nuit suivante, la même dose ayant glissé le jour. C’est la femme qui lui apprend à faire ce travail. Il finit par y trouver sa raison de vivre. Camus écrivait « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
C’est ce qui arrive progressivement.
Mais n’y a t’il pas davantage dans cette fable ?
Lutter contre l’ensevelissement : retarder la mort l’enterrement vivant.
Comme tous les grands romans celui-ci est une métaphore de la condition humaine et propose une façon de vivre le moins mal possible.
L'influence de penseurs occidentaux tel que Camus est probable.