A la frontière mexicaine, côté Texas, Llewyn Moss, qui vit chichement dans une caravane, découvre, lors d’une sortie de chasse à la biche, une brochette
de dix à douze malheureux cadavres, copieusement ensanglantés, à l’air stupide de ceux qui se sont figés pour l’éternité sans avoir eu le temps de prendre une petite pose.
Sur la scène macabre, il recueille, dans une camionnette, les ultimes borborygmes d’un pas tout à fait mort, détrousse les défunts, et, outre de la drogue, tombe sur une valise bourrée de billets de banque, de quoi faire nettement mieux qu’arrondir ses fins de mois. C’est son jour de chance, mais il risque de le payer plus cher que tout l’argent contenu dans la valise si l’on considère que rien ne vaut la vie… il se saisit du magot en dépit du danger.
En effet le mec à qui appartient la valise a embauché un tueur à gage d’un genre particulier : un mexicain énigmatique qui assassine tous les gens qu’il trouve sur sa route avec une arme à air comprimé, destinée à estourbir les bœufs dans les abattoirs. Il l’utilise également pour casser toutes les serrures.
Llewyn envoie sa femme au loin, dans sa famille, et quitte la caravane. Une course-poursuite de grande qualité s’ensuit, au travers d’un parcours
constellé d’émotions fortes, d’hémoglobine. Les savants effets de clair-obscur font rayonner ces scènes d'action.
Le tueur porte un nom étrange non mémorisable. Llewyn l’appelle « Sugar », par dérision. C’est le genre de type qui, si vous le croisez, à priori ne vous effraie pas, mais vous intrigue. Il n’a pas l’air d’être avec vous, ni l’air plongé dans ses pensées: sa présence est évidente, mais nimbée d’une sorte de vide dans l’expression, dans le sourire neutre, sur la face : vous avez le temps de penser ça : « tiens, il y a un petit truc qui cloche chez lui… » avant de passer ad patres…
Cependant, il fait grâce au tenancier du comptoir, chez qui il est venu prendre de l’essence : il lui propose de jouer sa vie à pile ou face. L’homme qui n’a rien à perdre, accepte.
Le visage de Sugar est figé comme un masque. On peut penser qu’il est là pour venger la population mexicaine, mais il tue aussi des gens du pays. Il m’apparaît comme la représentation de la mort en personne. Il est indestructible. Sérieusement blessé, il revient sans trop d’efforts à la vie.
Le shérif (Tommy Lee Jones),le " vieil homme" du titre, flic sexagénaire usé, suit l’affaire sans pouvoir réellement enquêter. Ce problème dépasse les compétences des autorités légales. Il fait de la philosophie, et raconte ses souvenirs, en voix off et en personne. Où sont passées les vraies valeurs ? Est-ce que Dieu pense à lui, dans ses moments perdus, et croit-Il encore en l’Amérique ? Il ressemble au personnage qu’il jouait dans « les Trois enterrements de Melquiadès » mais n’a plus envie de donner des leçons et se plaît dans une mélancolie désabusée, petite musique triste et douce qui vient en contrepoint des scènes de feu et de sang, les ponctuant.
J’aime bien la séquence ou Moss, blessé, les vêtements maculés de sang, rencontre deux jeunes gens et paie l’un d’entre eux pour un blouson qui masquera sa misère. La séquence se répète, plus tard avec Sugar, lui-même ensanglanté, qui va croiser deux gamins, et l’un deux lui donnera sa chemise, avec élan. Ces scènes sont de bons sketches pour parodier la charité chrétienne. La façon dont les passants réagissent face à l’homme en sang (d’abord faire comme si de rien n’était, puis tout de même proposer timidement de l’aide) et le fait que l’on donne sa chemise au tueur, mais que l’on vend un blouson au brave type…
Dans l’ensemble, on prend plaisir à ce film. Les frères Coen se servent avec habileté des ficelles du road-movie et du western.