La réponse de Freud à Michel Onfray :
L'Avenir d'une illusion ; texte de 1927.
Michel Onfray dans son livre Le Traité d'athéologie considère Freud comme un de ces « faux athées » qui ont gardé de la religion dans laquelle ils
ont été élevés l'éthique ou la morale peut-être les deux. Et il ne se trompe pas. Dans ces écrits politiques (On peut aussi compter « Malaise dans la culture ») tout en déplorant
les méfaits de la croyance religieuse, Freud ne propose pas une éthique athée.
Avec l'aide de la théorie psychanalytique Freud s'interrogeait sur l'avenir de la culture occidentale. « culture » ( Kultur) et « civilisation » sont pour lui synonymes.
Pour interroger le devenir de la civilisation, la psychanalyse privilégie le domaine de l'altérité, les échanges des hommes entre eux, le problème de la répartition des biens, plutôt que celui de l'acquisition du savoir et de la domination progressive de la nature.
Le premier de ces domaines d'investigation, Freud l'appelle « régulation des affaires humaines »
Les hommes tendent à régler leurs rapports intersubjectifs de manière à obtenir le moins de déplaisir possible pour chacun, pour le plus grand nombre.
Cette tâche est politique puisqu'elle suppose d'éviter la guerre. Le pari est difficile, les hommes ont des tendances antisociales (destruction de l'autre aussi bien que de soi), et n'aiment pas spontanément le travail.
Pourquoi ?
Le travail, selon Freud, est un jeu dont la satisfaction est différée.
Une majorité d'individus est contrainte par une minorité de privilégiés entretenant un conflit permanent et une répression des désirs.
Les foules sont inintelligentes et inaccessibles aux arguments. Il est nécessaire qu'elles soient contraintes par une instance gouvernante créée dans le
but de préserver la civilisation.
Mais ces instances gouvernantes ne sont pas plus intelligentes que les foules elles-mêmes et si un guide s'en détache, c'est par nécessité vitale et non pour ses capacités. Les hommes ont intériorisé l'instance dirigeante sous la forme du « surmoi » ( über-Ich) en ce qui concerne les interdits majeurs à la base de toute civilisation. Contraints d'obéir à des chefs , ils obéissent davantage à une représentation du chef qu'à un personnage particulier, qui n'en est qu'une figure passagère.
Les désirs humains qui, au nom de la préservation de l'espèce, demeurent non satisfaits, s'appellent privations. Elles ont un sens car elles se fondent sur des interdits : l'interdit d'inceste, le cannibalisme, le meurtre ... et sont intégrées par le surmoi. Les privations sont génératrices de productions culturelles, les hommes substituant à ces désirs interdits des pratiques éthiques et singulières pour chaque nation. Ces pratiques substitutives sont respectées par crainte du châtiment.
D'autres désirs également insatisfaits sont de natures différentes et aboutissent à des frustrations. Elles n'ont pas de sens car n'étant pas fondées sur des interdits : la mort n'a pas de sens( d'ailleurs l'inconscient ne la reconnaît pas). Elle n'a pas de fonction civilisatrice n'étant rien d'autre qu'un processus naturel. L'homme, être parlant, ne peut l'admettre du fait qu'il n'y a rien à en dire. La plupart du temps il se croit immortel, ça n'arrive qu'aux autres, mais s'angoisse si cela touche un »proche ». Les hommes vont doter de sens et humaniser la nature (mortelle) et ses manifestations. C'est ainsi que naît un processus appelé religion.
Paul Valéry dit « la question des religions, c'est de savoir si les morts sont vraiment morts ».
Les satisfactions secondaires substitutives aux frustrations ( imposées par la nature) et aux privations ( imposées par la civilisation) naissent du refoulement. On les appelle idéaux et réalisations artistiques.
Un idéal est narcissiquement satisfaisant parce que celui qui le défend entre en conflit avec d'autres idéaux et le sien lui parait d'autant meilleur.
Les fonctions de l'art , à l'opposé, sont anti-conflictuelles, elles exaltent l'identification ( une jouissance en commun) et réconcilient les éléments d'une communauté.
Les satisfactions substitutives nées de frustrations occupent une place à part puisque l'homme réagit à la frustration (principalement le fait d'être mortel) par l'idée religieuse ou « illusion ».
L'illusion, contrairement à l'erreur qui est une faute objective, est une croyance erronée, motivée par le désir et la subjectivité ; elle est indifférente à l'effectivité. Freud la différencie de l'idée délirante qui prend la place de l'effectivité et s'y substitue pour la personne qui en est affectée.
L'illusion subsiste donc, en non-contradiction avec une effectivité par ailleurs assumée comme telle. Bien entendu, si Freud réserve à la religion le terme d'illusion , il n'exclut pas que ceux qui pratiquent des religions puissent avoir des idées délirantes.
L'animisme, premier état de la religion, sera remplacé par une nouvelle illusion mieux adaptée à la nouvelle conjoncture. Il y aura des dieux dont la fonction sera d'abord de réconcilier les hommes avec la mort (réversibilité, passage vers une autre vie...) ensuite d'adoucir les privations que la civilisation impose, et enfin d'exorciser la nature. A cette phase, les idées religieuses ont pour fonction de compenser aussi bien des frustrations que des privations. La figure du père devient alors centrale dans l'esprit religieux des hommes.
Le père est craint de l'enfant qui n'en espère pas moins une protection de sa part. De Dieu, l'homme attend le même service.
La position du dieu est fragile :
S'il commande aux forces naturelles il faut se persuader que ses voies sont insondables.
S'il a seulement créé la nature, étant donné la façon imprévisible dont celle-ci se conduit et la non-réponse du dieu à l'effroi humain, il faut conclure qu'il a
abandonné sa créature. Car s'il y est lui-même soumis il perd son statut divin.
Les hommes s'en tirent en déclarant la foi inséparable du doute.
Arrivé à un tournant de son histoire, l'homme fait endosser au dieu l'origine de la civilisation en plus de la nature et le charge d'en faire respecter les règles. Il concentre les qualités divines sur un seul dieu selon un mécanisme inconscient que Freud explique dans la Traumdeutung : la condensation de plusieurs désirs disparates en une seule figure. Dieu finit par être exactement identifié au père et de fait il aura un enfant : soit sous la forme d'un peuple élu, soit sous la forme du Christ.
La deuxième partie de L' »Avenir d'une illusion « est centrée sur le problème de la foi chrétienne : l'idée religieuse est un dogme
qui réclame un acte de foi.
La façon la plus avantageuse de contourner ce problème est le doute qui permet l'activité rationnelle, non sans tourmenter l'obsédé.
Une autre façon d'esquiver la difficulté est de se comporter « comme si » c'était vrai. Les ruses de l'inconscient font d'une foi acharnée un détachement qui est celui de la négation. Le conscient nie ce que l'inconscient retient : c'est la façon habituelle dont la névrose se présente.
Il est fréquent aussi de masquer Dieu derrière des abstractions « c'est une force qui nous dépasse » , « c'est quelque chose, tout de même ».
Une seule attitude ne serait pas religieuse : reconnaître son impuissance en face de la nature. Toute démarche visant à se réconforter face à cette situation est forcément religieuse.
En vertu du principe de négation, l'athéisme parait être une attitude religieuse parmi d'autres.
La conclusion implicite de Freud serait que l'homme occidental n'échappe pas à Dieu, étant l'héritier de cette civilisation judéo-chrétienne. Tout au plus peut-il reconnaître que la civilisation est basée sur des interdits (lois) pour survivre et que la religion n'est que la consolation, la compensation des hommes aussi bien déprivés par les interdits que frustrés par la nature.
Autrement dit ; l'essence même de la religion n'est pas la loi en soi : elle n'est pas non plus « naturelle ». Elle se situe à un niveau où l'homme est un enfant devant un père, dans un registre qui est celui de la névrose, et implique que le père n'est pas mort, est donc à craindre, et qu'on peut en tirer des satisfactions, des récompenses etc...
Un niveau que la plupart d'entre nous croient avoir dépassé ce qui fait que Freud est souvent rejeté. Ceux qui ont coutume de se déclarer athées ou
incroyants, n' admettent pas qu'inconsciemment ils ont à découdre avec le père. Inversement, ceux qui se déclarent croyants n'admettent pas que la religion puisse être une
illusion.
La plupart des gens, même de bonne foi, n'admettent pas l'existence de l'inconscient. Ce serait admettre qu'ils ne connaissent que très peu de leurs pensées
véritables... l'inconscient est toujours nié, y compris bien sûr lorsqu'on prétend l'admettre...
L'avenir des idées religieuses en tant qu'illusions parait florissant à Freud. Alors même que la science se développe et devrait éliminer les causes de croyances religieuses, ce fait transforme des attitudes religieuses classiques en attitudes athées, sceptiques, et autres variantes qui signifient seulement que l'homme se dissimule, qu'il est resté un enfant dépendant d'un père.
Sigmune Freud " L'Avenir d'une illusion" PUF ( Quadridge), 1999.
Indice de satisfaction : 9/10.
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