Publié aux éditions Rivages.
Ce livre avait été sélectionné pour le Booker Prize en 1971.
L'un des derniers ouvrages d'Elizabeth Taylor, qui compte parmi mes préférés avec « Noces de faïences ».
Si son roman le plus célèbre est incontestablement « Angel », ce n'est pas le meilleur. Celui là, ces 215 pages- là sont supérieures, l'auteur n'a pas changé de style mais elle va à l'essentiel et presque toutes les phrases sont choisies et font mouche.
En 1971, lors de la parution, l'auteur a 59 ans ; elle n'est pas aussi âgée que son héroïne ; sans qu'on le dise Mrs Palfrey semble être septuagénaire. Elizabeth Taylor a encore quatre ans à vivre, son héroïne entame sa dernière, lorsque, veuve, elle s'installe à l'hôtel Claremont « un dimanche après-midi de janvier ». Au cœur de Londres, cette pension abrite des hôtes de passage et des personnes âgées, qui ne peuvent plus rester dans leur famille ou n'en ont pas. Ce n'est pas une maison retraite car on n'y trouve pas de personnel de santé.
Comme le dit Mrs. Palfrey à un jeune homme rencontré au hasard d'une chute qu'elle fait dans une rue et qui s'occupe de la réconforter, « Nous ne sommes pas autorisés à mourir ici ».
Lorsque les pensionnaires de l'hôtel le quittent c'est pour l'hôpital ou l'hospice. L'hospice surtout, attendu que, l'argent dont ils disposaient, ils l'ont dépensé à vivre dans cet hôtel.
Mrs Palfrey a un petit fils Desmond qui travaille au British Museum et vit à Hamstead. Des précisions qu'elle donne avec fierté aux autres pensionnaires, trois veuves et un veuf affectés de problèmes divers : Mrs. Arbuthnot d'arthrite, Mrs Burton d'alcoolisme, Mrs Past de mélancolie, et Mr. Osmond d'obsessions sexuelles.
Mrs Palrey parle de son petit-fils, seul moyen de se mettre en valeur, et annonce imprudemment sa prochaine visite. « Desmond ne vint pas. Le pull que lui avait tricoté Mrs Palfrey était presque achevé et chacun savait qu'il n'était pas venu le chercher. Sauver la face avait été un élément important de la vie en Extrême orient et Mrs Palfrey à présent s'y efforçait de nouveau. Une telle attitude entraîne généralement des ennuis, et les ennuis apparurent car elle se trouva obligée de mentir et de se souvenir des mensonges qu'elle avait proférés ».
Les mensonges ne font pas illusion et les autres pensionnaires lui témoignent de la pitié et une sympathie méprisante, quand ils ne suggèrent pas que ce petit fils elle l'a inventé.
Heureusement elle fait une chute, retour de la bibliothèque municipale, un jeune homme la secourt qui vit dans un entresol en face de la rue où elle gît à terre. Ludo (nom qui évoque le jeu et le plaisir) est écrivain sans avoir rien publié, vit dans le dénuement le plus complet.
Mrs Palfrey l'invite à Claremont pour le remercier. Ludo paraît surpris, consterné puis c'est l'allégresse qui le gagne : « lorsque la voiture disparut, il retourna dans la pièce et, penché sur sa table, nota dans un calepin : « longue culotte grise et pelucheuse... élastique...vine de la jambe couleur de raisin ...parfum d'eau de lavande (berk !)...taches brunes sur le dos des mains vernissées, veines apparentes...plis horizontaux. »
Ludo est apprenti écrivain et il travaille sur le motif. L'idée d'aller visiter Mrs Palfrey lui apparaît comme un matériau intéressant pour écrire. Ecrire sur les personnes âgées l'intéresse d'autant que Mrs Palfrey a prononcé sans le savoir, une phrase au contenu dramatique qui suppose un certain pathos maîtrisé « nous ne sommes pas autorisés à mourir ici » et, mine de rien a désigné Claremont comme un lieu de passage symbolique ( antichambre de la mort, scène où l'on fait son apprentissage de l'agonie, lieu de souffrance maquillé).
Cette phrase deviendra le titre du roman que Ludo achève à la fin du livre que nous lisons.
« Ils ne sont pas autorisés à mourir ici »
Une relation forte s'établir entre Ludo et Mrs Palfrey, principal objet du livre. Ludo est un personnage très positif. Il ne se lasse pas d'écrire malgré la quasi-misère dans quoi il vit ; mélange de naïveté et d'honnêteté, il rend Mrs Palfrey amoureuse de lui, sans l'ignorer et sans chercher à en profiter non plus. Il lui emprunte de l'argent et travaille pour le lui rendre. Mrs Palfrey voudrait l'inscrire sur son testament : il n'en saura rien et elle ne pourra pas. Son profit, il le trouve dans le matériau que cette dame et les autres pensionnaires lui fournissent involontairement pour l'écriture. Un roman que Mrs Palfrey n'aurait pas aimé se dit Ludo lorsqu'elle lui demande de lui en faire parvenir un exemplaire lorsqu'il sera publié. La nature de leur relation est profondément réaliste et vraie à l'opposé de « Harold et Maude » film contemporain du roman, et dont le sujet est quasiment le même : le jeune homme et la vieille dame.
Ce récit ne propose rien d'invraisemblable ni de faux. Rien d'idéaliste. Vraie et subtile, El. Taylor ne prétend pas que Ludo pourrait être amoureux d'une vieille dame. Il recherche la compagnie des filles de son âge. Il ne se plaît pas particulièrement avec Mrs.Palfrey. Le grand âge n'est pas idéalisé. Mrs Palfrey, isolée, tombe une deuxième fois pour avoir voulu échapper à des avances importunes et cette seconde chute lui ramène Ludo.
De sorte que, nous rappelant Harold et Maude nous voyons ce qu'il y a de faux dans ce film en regard de ce roman. Point ici de relation fusionnelle mais lucidité et respect mutuel.
Des intrigues secondaires, comiques et émouvantes en même temps, viennent étoffer le roman, l'apparition du vrai petit fils alors que les pensionnaires avaient adopté l'autre comme tel.
La vie de cette petite société de personnes âgées qui affrontent ou évitent les manquements ou les misères leur condition, leur tentative de participer à une « boum » et les petites catastrophes qui s'ensuivent sont rapportées avec un humour caustique parfois cruel.
Mais la surprise ce sont les deux personnages principaux, sympathiques et performants, rares chez Elizabeth Taylor qui préfère dénoncer les travers de la société dans ses personnages plutôt que de montrer des êtres intelligents.