Afin de les surveiller, elle se poste là-haut derrière les vitres.
Anxieux et raide comme un débutant, l'œsophage noué, il tient serrée la main de Zola, ses doigts enlacés dans les siens.
Ils doivent traverser le boulevard, obliquer à gauche, et franchir encore une grande artère pour gagner l'école. Une école de rien du tout. Pas l'Ecole Alsacienne, pas l'Ecole Boulle, ni l'Ecole Choc, mais la Daube, certainement.
Il subit sa déchéance et vit en marge. Zola et lui sont des passagers clandestins de la vie, ils voyagent dans la soute à bagage, dans la salle des machines, se déplacent dans les endroits cachés et les recoins, parcourent, invisibles, les lieux publics.
Rouge ? Maman dit tu te méfies de l'apparente sécurité du rouge, lorsque les feux changent du vert au rouge, la plupart des voitures continuent sur leurs lancées, pour s'engouffrer sous le tunnel, insouciantes d'un vulgaire signal et de deux enfants. Même lorsqu'elles s'arrêtent, le risque demeure. Certaines déboulent d'en face. Il reste également une enfilade, une sorte de couloir extrêmement pervers par où un petit Berlingot, une moto, un cycle quelconque peut se glisser qui nous percutent aussi bien que les véhicules de bonnes dimensions. Sur le bord, caressant nerveusement la menotte de Zola, Noé se figure Maman veillant à sa fenêtre là-bas et il hésite à gagner l'autre rive.
Maman craint de vous voir en bouillie, évoque souvent les corps endommagés, disloqués, sanglant, les hurlements, de sirènes, la disparition de personnes qui, une fois mortes, manqueraient, qui une fois handicapées, manqueraient aussi tout en étant de trop.
Vert ? Aucun véhicule en vue, mais le libre accès aux piétons ne permet pas une traversée sans risque ; la chaussée est vide, le bolide ne va pas tarder à se ruer sur les malheureux. Sans parler de ces autos qui confondent les feux, ralentissent au vert, et accélèrent à l'orange, devenu bientôt rouge.
Orange ? Le pire ! Aucun conducteur ne réagit de la même façon à la vue de la couleur intermédiaire, ambiguë, traîtresse, ni chair ni poisson.
Pas question de se lancer dans un trajet périlleux. Un chauffeur bien intentionné ralentit à l'orange, mais la moindre saute d'humeur le fait accélérer brutalement et broyer tous les
corps à sa portée.
Et de nouveau le rouge est mis: Une seule rangée de voitures s'est immobilisée. Il reste beaucoup de place pour le chauffard qui va contourner cette rangée. Et les fous qui se trompent de sens! Et les chiens, les lièvres, les tortues qui peuvent apparaître sur la chaussée, jamais dans les clous, plongeant promeneurs et conducteurs dans la perplexité et abolissant leurs réflexes.
" Qu'est-ce qu'on fait là ? Nous seront en retard par ta faute.
.-Mais oui, on y va. » Il ne faut pas se mettre à courir, il faut partir à point. Mais ne rêvons pas : Aucun moment n'est propice à la traversée, surtout pas le rouge. Feu rouge n'est pas Mer Rouge, et nous ne sommes pas les Hébreux.
Zola menace elle le dira, alors, il l'entraîne, traverse à toute vitesse, sans savoir de quels feux il brûle.