La chair est triste...
C'est la première fois que je lis un ouvrage en entier dans la catégorie " érotisme". Catherine Millet écrit bien, et son roman autobiographique pose un certain nombre de questions intéressantes.
J'ai choisi de croire que Catherine disait la vérité.
Ce récit est divisé en 4 chapitres dont le premier « le Nombre « semble vouloir dire que Catherine se range dans la catégorie des Dom Juan féminins. Ce qui compte c'est d'en avoir toujours un de plus (ou un de moins) à conquérir.
Remontant à son enfance, elle se souvient s'être demandée si une femme pouvait avoir plusieurs maris en même temps ou seulement l'un après l'autre. Vers l'adolescence elle devient très catholique et veut « épouser Dieu « et partir comme missionnaire.
« Dieu était la voix tonnante qui rappelait les hommes à l'ordre ».
Catherine comprends que la religion ne va pas la satisfaire, et perd sa virginité à 18 ans (fin des années soixante). Elle cesse de croire juste après ses premières relations sexuelles. Mais ensuite elle va très vite apprécier les partouzes :
« Je suis entrée dans la vie sexuelle adulte comme, petite fille, je m'engouffrais dans le tunnel du train fantôme, à l'aveugle, pour le plaisir d'être ballottée et saisie au hasard. Ou encore « absorbée comme une grenouille par un serpent ». La sexualité garde un lien avec les plaisirs enfantins et s'en coupent en même temps dans une délicieuse contradiction.
Si elle se déshabille vite, c'est qu'elle ne se sent pas trop à l'aise dans l'échange verbal et préfère les propos qu'on s'échange en baisant. « Craintive des relations sociales j'avais fait de l'acte sexuel un refuge : esquiver les regards et les échanges verbaux pour lesquels je manquais de pratique ». Dans l'acte sexuel au contraire elle peut parler : un récit à deux voix en contrepoint de l'échange corporel, l'impression de communiquer.
La Sous-mission
« Tu ne disais jamais non ne refusais rien. Tu ne faisais pas de manières. Tu ne jouais ni à la femme qui veut faire plaisir à son mec ni à la grande salope. Ni réticente, ni vicelarde. Tranquillité et maniabilité. » Catherine a été fière que certains de ses amants lui fassent ce type de compliments.
C'est contraire au schéma classique que nous apprenaient parfois nos aînées nées avant guerre, si elles consentaient à avoir des échanges verbaux avec nous, à savoir que la femme pour se faire respecter devait résister et se faire difficilement conquérir en y mettant de vrais obstacles.
Contraire aussi à l'idée répandue qu'il faut jouer un rôle pour plaire. Contraire même aux idées issues de mai 68 selon lesquelles il fallait jouir de sa liberté sexuelle, et « ne pas se refouler ». Non : Catherine est soumise. Rien de plus.
L'Objet : la grande découverte de Catherine, au rayon du plaisir sexuel, c'est le « dé hermétique »: l'extrémité est une tête de poupée le front marqué d'une étoile et dont les cheveux forment un cran qui correspond au bourrelet du gland. Cette tête décrit des cercles plus ou moins larges tandis qu'une sorte de petit sanglier qui se détache à la moitié du cylindre fait vibrer plus ou moins vite sa langue très longue destinée à solliciter le clitoris ». Grâce à cet appareil elle réussit à avoir un fort orgasme « déclenché sans se raconter d'histoire ».
Jusque là nous croyions que Catherine faisait l'amour parce qu'elle y trouvait son compte sur le plan sexuel. On se trompait ou l'on avait mal lu. Elle aime le corps des hommes, elle s'excite facilement, mais la conclusion orgasmique, si atteinte, ne l'est que par la branlette.
L'Espace.
Catherine parle de l'espace comme métaphore des parties génitales féminines, espaces clos, ouverts, lieux rêvés, choisis pour accueillir le désir. « Qui n'a pas rêvé de polluer avec des parties de jambes en l'air les lieux les pus ordinairement innocents qu'il fréquente... »
Les lieux extérieurs l'inspirent : un hall d'immeuble, où deux quidams la prendraient en sandwich, un mur à claire-voie entre le parking de la porte de Saint-Cloud et le Périphérique, de nuit, éclairées par des phares, sur le fond de lait caillé d'une montagne escarpée, le corps en équerre.
« Je n'ai guère investi les bureaux en dehors des horaires de travail » nous dit Catherine, voulant par là signifier son dégoût de la vulgarité : elle n'est pas cette nana écervelée qui se fait mettre dans un bureau par son collègue : précisément, ces petits interdits mesquins ne jouent aucun rôle dans son parcours ; son geste requiert une esthétique lié à une éthique. C'est là que se noue le lien qui lie son travail à son activité professionnelle. Catherine répond là à cette question de l'influence des interdits sur le désir et l'excitation sexuelle : cela lui parait trivial, elle ne s'y laisse pas prendre. L'acte sexuel tel qu'elle le conçoit, c'est de la beauté à l'état pur.
L'Ennui : dans un dernier chapitre « Détails » Catherine renchérit sur le fait qu'elle n'a pas recherché la satisfaction des sens et ajoute qu'elle ne savait même pas jusqu'à au moins trente-cinq ans que c'était en principe le but recherché. « J'ai parlé de l'ennui qui me prenait pendant les réunions entre amis et de l'échappatoire que je trouvais en m'éclipsant avec l'un d'eux pour baiser. Mais il arrive qu'on s'ennuie en baisant. Toutefois je supporte mieux cet ennui là ».
Pendant tous ces échanges sexuels ou non elle trompe son ennui en s'inventant des histoires ; il arrive qu'on la mène dans des appartements dont la décoration l'intéresse. « Le cours de ma pensée est si détaché des contingences qu'il ne se laisse pas entraver par un corps, celui-ci serait-il retenu dans les bras d'un autre corps ». Mieux, la pensée est d'autant plus libre que l'éventuel interlocuteur s'occupe avec le corps.
Mais alors, à quoi bon avoir autant de partenaires, si c'est aussi peu gratifiant ?
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