Fabienne Swiatly « Gagner sa vie » La Fosse aux ours, 2006.
En treize chapitres l'auteur nous raconte son parcours professionnel qu'elle fait débuter par ce lui de son père, ouvrier électricien à Arméville (Moselle). Une vie laborieuse en usine, un homme à qui l'on n'a pas fait de cadeau. Non plus qu'à sa fille.
Fabienne ne se plait pas au lycée de Metz. On l'a mise contre son gré en terminale G3, alors qu'elle aspirait à une section littéraire. En 1978, avant le bac, elle fugue avec son amie Corinne pour une existence d'abord nomade vivotant de petits boulots. Elle remplit des barquettes de dattes à Marseille, sert dans restaurant à Etretat, comptable d'un jour dans un lycée professionnel à Barentin ( seine maritime) trie des négatifs et encaisse des chèques dans un labo photo à Paris. D'un écriture sobre et précise, elle dit la frustration de ces tâches répétitives, la mesquinerie de la patronne du restaurant qui lui vole son pourboire sous ses yeux, l'indifférence de la secrétaire en chef du lycée pro qui lui confie une machine sans lui expliquer correctement la manipulation, toutes sortes d'exploitations et parfois avilissements dont elle est l'objet par des supérieurs hiérarchiques, parfois aussi par des collègues que leur situation précaire ne rend pas généreuses.
A partir de 1981, elle réussit à travailler pour le compte d'une de ces radios libres, au début non commerciales, autorisées par le nouveau ministère de la culture. Enfin un travail intéressant quoique peu payé. Devenue attachée de presse dans une entreprise de communication en architecture et urbanisme, puis rédactrice d'un journal d'entreprise, des responsabilités vraies lui incombent basées sur un travail d'écriture. Après avoir œuvré pour l'association de défense des droits du détenu à Lyon, elle animera divers ateliers d'écriture, dans un hôpital public à Laval, au centre psychopédagogique de Lyon et finalement, forte de toutes ces expériences, un atelier d'écriture littéraire et professionnel à son compte.
Outre son expérience d'animatrice de radio libre, elle exercera plus d'une fois des emplois qui sont souvent occupés par des bénévoles, pour un salaire plus que maigre ; mais elle réussit à en vivre et parfois se le verra reprocher !
On ne répétera jamais assez que la fonction d'animateur socioculturel n'est pas de la charité mais du travail professionnel qui doit être correctement rémunéré.
En conclusion, c'est un documentaire lucide et émouvant sur le monde du travail, qui va à l'essentiel et ne s'embarrasse ni de fioriture ni d'afféterie comme on peut le déplorer dans certains textes qui décrivent l'homme au travail, l'homme exploité, privé d'emploi, en utilisant un style, baroque et recherché, qui nuit au rendu de l'expérience. Je pense en particulier à « Petites natures mortes au travail »d'Yves Pagès. On ne relève pas non plus ce défaut du roman fleuve populaire dont les intrigues sentimentales finissent par lasser ( je pense à « Les vivants et les morts » de G. Mordillat). Et l'expérience personnelle ici ne tourne pas à l'autobiographie un peu désordonnée comme dans« Mathieu disparaît » de Patrice Robin (POL, 2003) qui pose également le problème du jeune promis à un emploi peu gratifiant et qui veut choisir son métier et sa vie.
Dans « Gagner sa vie », on trouvera des phrases miraculeuses comme celle-ci :
« Et je me dis que le partage de l'écriture est une singulière aventure, comme un voyage que l'on entreprend sans savoir où il nous mènera. Le plaisir du chemin qui se fait. Pas d'autre ambition que ce chemin parcouru ensemble. Le voyage n'est pas toujours une question de destination ».
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