Le titre original fait signe aux polars américains ( côte Ouest, bleu = blues) que Manchette appréciait ceux de Chandler en particulier.
Georges Gerfaut cadre commercial, femme, enfants, existence sans surprise, s'apprête à partir en vacances en famille à St -George-de-Didonne, comme tous les ans.
Il a coutume de rouler sur le périphérique de nuit, enivré au whisky, en écoutant du jazz ; c'est même son loisir favori. Une nuit, il porte secours à un automobiliste qui vient d'avoir un accident grave. Il le laisse à l'hôpital...
Bientôt il se rend compte que deux tueurs veulent le liquider...
Georges Gerfaut qui n'a jamais eu affaire à la délinquance, ni même tenu une arme, doit se défendre contre des tueurs professionnels. Il leur résiste, et parvient à les anéantir, ainsi que leur chef, escroc notoire, et même à se trouver un complice. Pour eux il n'est que » l'imbécile » qui doit être éliminé, pour avoir été en relation avec le type qu'ils poursuivaient, et que Georges a cru victime d'un accident de voiture...
Gerfaut devrait être un héros. Mais la façon d'écrire ironique, distanciée, sèche, imitée des polars « hard-boiled », donne de la saveur de
l'intelligence, et du réalisme au récit. On prend plaisir au style de Manchette autant et plus qu'au contenu du roman.
L'auteur est un maître de la description : introduction de la femme de Gerfaut :
-C‘est idiot, c'est une histoire de fou, dit Béa.
Béa : Béatrice Gerfaut, née Changarnier, des origines catholiques et protestantes, bordelaises et alsaciennes, bourgeoises et bourgeoises ; exerçant
la profession d'attachée de presse free lance après avoir enseigné les techniques audiovisuelles à l'université de Vincennes et tenu une épicerie diététique à Sèvres...femme -jument superbe et
horrible »
la description d'autant plus intéressantes qu'elle ne sert à rien pour l'action ni la compréhension, la femme en question n'ayant qu'un rôle extrêmement
mineur. On y retrouve la misogynie des romanciers de la série noire, que l'on veut bien endurer tant qu'elle nous amuse.
Manchette joue avec les noms et les apparences Béa (béat) grande femme brune solidement charpentée, Gerfaut ( nom d'un faucon) blond plus petit et sans carrure spéciale, qui changerai de nom pour Sorel ( parodie du roman de formation).
Il joue aussi avec les contradictions de la pensée:
« je ne t'aime pas, dit-il à Alphonsine. Je ne t'aime pas. Tu es très belle, mais tu es une personne de qualité moyenne. Tu me plais beaucoup ».
Les deux tueurs sont naïfs, sympathiques,un peu ridicules( leurs dialogues de braves types qui parlent simplement de choses et d'autres... la façon dont Carlo
fait le deuil de son ami : il lit une ode à Spiderman, profère des imprécations de vengeance, suivies d'un peu de latin de pages roses...)
l'un d'eux est « le type aux dents de cheval » l'autre c'est « l'homme aux mèches livides ». Ils n'ont rien de commun avec
les forfaits qu'ils accomplissent.
Les milieus sociaux décrits témoignent que rien n'a vraiment changé depuis trente deux ans dans le domaine de l'immigration : "les bûcherons portugais étaient
huit...ils séjournaient illégalement en France,n'avaient aucune sorte de sécurité sociale et touchaient un peu plus de la moitié du SMIC pour un travail de soixante à soixante-dix heures par
semaine..."
Celui-ci possède un prélude et une fin qui se rejoignent montrant pour l'éternité un homme qui roule sur le Périphérique grisé de musique et d'alcool, qui a peut-être rêvé ce qui lui est arrivé...