Publié en 1980, le premier roman d'Eco fut traduit en français deux ans plus tard aux
éditions Grasset. Il fut un succès de librairie et reçut le prix Médicis du meilleur livre étranger.
Jusque là Eco, professeur de sémiologie à Bologne, n'avait écrit que des ouvrages de critiques littéraires utilisant les découvertes linguistiques, les plus lus étant « Lector in fabula » et « « L'œuvre ouverte ».
Ce premier récit inaugurait une carrière de romancier prolixe, phénomène rare chez les linguistes. Actuellement, Eco a publié « La Reine Luana » toujours dans la même veine, mêlant les genres, aventure, histoire, et intrigue plus ou moins policière. Dans chacun de ses romans ( il en a publié 5 ou 6) on est sûr de s'instruire sur un sujet donné.
Je lis peu de romans historiques, celui-là pourtant fut un véritable régal. D'une lecture apparemment facile et agréable, il ne s'est pourtant pas donné à moi tout entier la première fois, et, la
dernière page tournée, restait une belle promesse. Ce qui est la condition idéale pour une, ou plusieurs relectures, voire pour une lecture attentive avec beaucoup de notes.Ici j'en ai tiré
quelques vestiges.
A la fin de sa vie, Adso de Melk, moine franciscain, rédige un épisode de son adolescence qui dura sept jours et le marqua pour toujours.
En novembre 1327, il accompagne Guillaume de Baskerville, dont il est le novice, dans une abbaye bénédictine, en Italie du nord. L'ordre franciscain a envoyé
Guillaume là-bas pour organiser une rencontre entre les envoyés du pape Jean XXII, et les représentants de l'empereur Louis de Bavière, qui doivent tenter de résoudre des
conflits politico-religieux.
Arrivé à l'abbaye, Guillaume explique au moine cellier comment retrouver son cheval, et lui fait la description de l'animal, qu'il n'a jamais vu, des raisons pour lesquelles il a dû partir, et du lieu où il s'est rendu. Le lecteur reconnaît alors Guillaume pour un détective. Ce passage parodie ouvertement le Zadig de Voltaire. "Baskerville" désigne aussi le livre de Sherlock Holmes.
Le lecteur se trouve d'emblée dans un espace d'intertextualité ludique, contrairement au narrateur Adso qui restera le naïf de l'histoire.
L'abbé Abbon, chef de l'abbaye, qui les reçoit, est affolé : le jeune moine Adelphe d'Otrante a été retrouvé mort au pied de la tour.
L'abbaye comprend une tour carrée dont chaque angle est interrompu par une tourelle octogonale.
Ces données nous orientent vers le roman gothique (Otrante, château, mort mystérieuse...)
Adelphe était enlumineur.
Guillaume s'intéresse vivement au crime, ainsi qu'à la bibliothèque de l'abbaye au-dessous des cuisines, où travaillait Adelme l'enlumineur. Dans le scriptorium, il apprend, du moine Béranger, qu'Adelme s'est jeté du mur d'enceinte et qu'un éboulement l'a fait glisser au pied de la tour.
Avec le vieux Jorge, conservateur aveugle de cette bibliothèque, l'atmosphère est tendue : cet homme ferme sa bibliothèque de l'intérieur, refuse l'accès à certains livres qu'il juge « impies » et qui, par exemple, font l'apologie du rire. Le rire vient du Malin.
Venantius, moine traducteur de grec, affirme, contre l'opinion de Jorge, qu'il existe un traité du rire dont l'auteur est Aristote.Guillaume confie à Adso qu'il a accepté la mission diplomatique afin de consulter ce livre qu'il recherche depuis longtemps...
Le lendemain un autre moine est découvert mort, dans une cuve emplie du sang d'un porc tué la veille... et ce n'est pas fini !
La suite de cet article intéressera surtout ceux qui ont lu le livre.
En plus de son enquête, Guillaume reçoit les visiteurs dont il doit organiser la rencontre. Parmi eux, Bernard Guidoni, inquisiteur de renom, s'enchante de ces crimes, et désigne comme hérétiques deux moines de l'abbaye. Ce personnage est un obstacle de taille à l'enquête, et force Guillaume à préciser ses idées dans le domaine de l'éthique.
En effet il fut lui aussi un inquisiteur « qui se trompait » et a révisé ses positions. A présent il est opposé aux actes de bravoure inutiles, et ne défend pas le moine, que Guidoni fera brûler, même s'il le juge innocent.
Au terme des sept jours, Guillaume réussit à faire éclater la vérité sur les crimes de sang, et à en empêcher d'autres, au prix de mille
tribulations, mais n'obtient pas ce qu'il désirait avant tout...
Adso reçoit de lui plusieurs messages à méditer de l'aventure, d'abord un fort penchant pour le scepticisme. La passion de l'assassin pour une vérité unique, son fanatisme, le transforme en antéchrist alors qu'il croit servir Dieu. L'unique vérité est d'apprendre à nous libérer de toute passion pour nous approcher de la vérité.
Le lecteur est un peu surpris qu'Aristote fasse figure de danger public. Dante, qui était chrétien, le considère comme un de ses maîtres. Mais Guillaume se méfie des fictions et n'aime pas l'auteur de la Divine comédie. Guillaume a lui aussi ses limites.
Le vieux Jorge est à mon sens le vrai héros du livre, un héros tragique. La machine dramaturgique en œuvre dans le roman, le pathétique, l'émotion (tout ce qu'Aristote exige d'un héros tragique) sont assumés par le vieux Jorge.
Adso de Melk est un personnage secondaire et essentiel. Il a « tout enregistré de ce qui s'est passé » et le redit fidèlement, y incluant ce qu'il ne comprend pas, et même ce qui ne peut l'intéresser, dans un souci d'objectivité. Pour lui donner consistance, Eco lui invente une amourette avec une fille du village.
Le roman est à grand spectacle avec de longues descriptions : scènes vues par Adso sur le portail de l'église évoquant des toiles de Bosch.
Dans "l'Apostille au nom de la rose"( livre de poche biblio), Eco prétend livrer en même temps que ses réactions à la sortie du roman, les secrets de fabrication de son oeuvre. Il reconnaît avoir pris Borges pour modèle du vieux Jorge. Ce personnage est très négatif...
Titre : le nom de la rose, c'est « tout ce qu'on veut » dit Eco, la « structure ouverte « du titre. "
la rose" est un signifiant "ouvert" qui peut recouvrer une infinité de contenus ( celui qui conviendra au lecteur).
Mais ce n'est pas comme si Eco avait écrit " Sans titre"...
On peut penser à la Rose de Paracelse de Borges (histoire très curieuse d'un alchimiste qui ne veut plus de disciples...).
Eco explique le choix du contexte historique :
-Guillaume a reçu les leçons du philosophe anglais Roger Bacon, il le cite et porte des lunettes inventées au treizième siècle.
-Pour que Guillaume, franciscain, puisse se conduire en détective, il faut dit Eco que « les signes soient interprétés, non pas en tant que symboles,
mais en tant que traces du réel ». Cela nécessite que l'on soit au moins au quatorzième siècle, vu l'évolution de la pensée.
-Adso doit pouvoir rapporter les discussions entre Guillaume et les émissaires du pape ainsi que les argumentations théologiques. Il ne le peut qu'à partir du
14eme siècle.
On apprend quel conflit divise alors les franciscains. Les uns « les petits frères des pauvres »aussi appelés les ordres
mendiants, adoptent une conduite sévère et vivent dans la pauvreté...Attitude que Guillaume condamne comme fanatisme.
Les trompettes de l'Apocalypse : l'assassin a copié des détails de ce livre de la Bible, pour perpétrer ses crimes et montrer qu'il exécute la vengeance de Dieu.
Ce petit opuscule est intéressant mais ne répond pas à toutes les questions.
Cela reste un bon livre. Peut-être est-ce à lui que l'on doit cette avalanche de romans utilisant l'enquête policière, un contexte historique donné, et l'ésotérisme, car Eco a lancé une mode. Certains sont excellents, d'autres, comme les Da Vinci code, ne sont pas du tout à la hauteur...
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