(pour Joanie et les autres)
Sources du récit : Stendhal a compulsé les annales de la « famille Farnèse » où paraît le personnage d'Alexandre Farnèse, duc de Parme, au 16 eme siècle, qu'il utilisera pour « Fabrice » et qui servira aussi pour plusieurs des "Chroniques Italiennes".
Il a transposé ce récit dans l'Italie du 19eme siècle.
Le roman a ensuite été rédigé très vite puisqu'il aurait été dicté en l'espace de 52 jours.
Dans la préface, l'auteur prétend avoir rencontré un chanoine à Milan, qui lui aurait raconté l'histoire de la duchesse Sanseverina, et donné le moyen de se procurer le recueil lui permettant de trouver davantage de détails.
On pense que le chanoine en question devrait être le narrateur, mais au terme d'une dizaine de pages, il devient Stendhal lui-même qui installe « notre héros », Fabrice Valserra del Dongo dans son récit.
En 1796, l'entrée de Bonaparte en Italie. Fabrice naît un an plus tard. Le marquis Del Dongo est partisan de l'Autriche. Fabrice est élevé par sa mère et sa tante Gina. Il est le plus jeune des enfants de cette famille et en quelque sorte le « superflu », puisque le fils aîné vit et s'occupe des affaires de son père sous sa direction.
La tante Gina a épousé le comte Pietranera, officier de la République cisalpine.
Les femmes ont le béguin pour Bonaparte, et Fabrice suit leur exemple. C'est pour les avoir trop écoutées, que l'adolescent, âgé de seize ans, fait une fugue et rejoint l'empereur, retour de l'île d'Elbe. Il assiste à la bataille de Waterloo, plusieurs passages justement célèbres, émouvants et savoureux, la guerre vue par un jeune garçon naïf, imaginatif et romanesque.
Cette bataille brise ses rêves d'héroïsme. Dès son retour à la maison, il perd son oncle qui s'est battu en duel avec les monarchistes.
Gina devient la maîtresse du comte Mosca, ancien officier de l'Armée impériale, devenu premier ministre du prince de Parme ; et elle épouse le vieux duc de Sanseverina, pour s'assurer une situation mondaine dans la principauté. Mais nous savons que seul Fabrice compte...
Fabrice passe quatre années à l'Académie ecclésiastique de Naples. En 1921 il revient à Rome. Il s'éprend d'une starlette, Marietta. Malgré les faux-semblants, le comte Mosca est jaloux de la tendresse que Gina porte à son neveu.
Provoqué par Giletti, l'amant de Marietta, Fabrice le tue et doit quitter Parme. Sa carrière de tombeur se poursuit néanmoins, et le mène à une cantatrice, Fausta.
Son retour imprudent à Parme lui vaut d'être incarcéré à la « Tour Farnèse » (c'était initialement le titre du roman), non pour avoir tué Giletti, mais en raison d'intrigues politiques auxquelles le prince Ranuce-Ernest IV a prêté l'oreille, car, tenant Fabrice, il espère séduire la duchesse dont il est épris...
Le séjour de Fabrice en prison est également célèbre et je dois dire qu'en classe de 1re il m'avait ravie, ce premier contact avec la Chartreuse, sous forme de morceaux choisis!
D'où l'idée de lire ce roman, qu'à seize ans j'abandonnais très vite...pour le reprendre dix ou douze ans plus tard.
Donc Fabrice, amoureux de Clélia Conti, fille du général commis à sa garde. C'est le bonheur. Les héros de Stendhal sont heureux en prison, cette particularité a été souvent commentée. Julien Sorel est au faîte de la félicité alors qu'il est incarcéré, et de plus condamné à mort. Georges Lucacs a bien parlé de ce phénomène dans sa " Théorie du roman" ( éditions Denoël). le héros chez Stendhal est un "idéaliste abstrait". Son imagination court seule, sans tenir compte de la réalité. Les murs de la prison les isolent et les mettent en valeur. L'isolement leur permet d'imaginer à loisir. Ils ne s'évadent que par la pensée.
On peut penser que ce phénomène vient de la culpabilité dont souffrent ces jeunes gens.Une
fois incarcérés, ils se sentent punis, donc leur mauvaise conscience s'apaise, et s'ensuit un épisode de contentement.
Pour ce qui est de Fabrice, son plaisir s'accroît de la présence interdite et proche de Clélia, et des obstacles pour la conquérir. Je suis frappée de voir à quel point la chevalerie du roman courtois influence l'espace romanesque des siècles suivants.
Les obstacles seuls comptent. Et Clélia restera toujours aimée, car toujours interdite, même l'acte charnel consommé.
Clélia persuade son amant de s'enfuir et l'aide, faisant vœu à la Madone de ne plus le revoir, puisqu'elle a trahi son père.
La duchesse fait assassiner Ranuce-Ernest pour se venger. Elle affirme sa puissance à Parme et obtient du nouveau prince Ernest V la révision du procès de Fabrice, qu'elle fait nommer coadjuteur de l'archevêque.
Clélia épouse un vieux noble pour obéir à son père. Fabrice se convertit à une vie austère et devient prédicateur de talent, pensant toujours à elle et espérant la revoir.
Clélia tourne l'obstacle de son vœu en rencontrant son amant la nuit. Cette intimité continue alors que Fabrice est déjà devenu archevêque. Ils ont un enfant qui meurt en bas âge. Clélia (comme Mme de Rénal, ou Marie Arnoux) est persuadée que les maladies qui frappent son enfant sont des punitions du ciel, d'autant qu'elle a vu Fabrice à la lumière pendant la maladie de l'enfant. Elle ne tarde pas à rendre l'âme.
Fabrice pense au suicide que sa religion lui interdit et se retire à la Chartreuse de Parme, n'en sortant que pour rendre visite à Gina. Peu après, ils meurent tous les deux.
Cette hécatombe expéditive est peu vraisemblable et ne plaît guère au lecteur.
L'Italie de Stendhal : un lieu idéal
On participe à La chasse au bonheur chez ces âmes italiennes, qui mêlent cynisme, ardeur et sensibilité. Les héros sont tous juvéniles, même Gina, et n'ont pas le temps de vieillir.
Parme est dans ce roman une principauté imaginaire dont Stendhal donne un tableau politique d'envergure : Balzac a salué cet aspect de la Chartreuse et compare Stendhal à Machiavel.
Ces intrigues politiques, que je trouve fort bien menées sont pour moi lassantes.
On se souvient surtout de la fuite de Fabrice à Waterloo et de ce regard naïf qui révèle bien des choses vraies.
J'aurais aimé que Fabrice soit un écrivain ou un personnage d'envergure parce que Stendhal, on le sent, veut le pourvoir de toutes les qualités possibles.
Fabrice, en définitive, ne vit que pour éprouver des instants de grâce ineffables, qui ne souffrent évidemment pas de longs commentaires.
Il meurt, ayant épuisé sa réceptivité à ces instants parfaits.
J'aime toujours la Chartreuse pour certains passages mais à mes yeux " le Rouge et le noir " est de beaucoup supérieur. Je lui consacrerai un article un de ces
jours.