6 juillet 2008
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Fruit ou légume?
Béatrice, surnommée « Pomme », apprentie coiffeuse, est une jeune femme discrète et silencieuse. On ignore si sa réserve est le fait de la crainte, ou de la méfiance. Au salon elle ne progresse pas et doit se contenter des tâches les plus ingrates comme de balayer le sol. Marylène, une collègue très exubérante, l'emmène en vacances à Cabourg. Pomme y rencontre François, étudiant très timide, qui croit avoir trouvé en elle l’âme sœur. Ils se mettent en ménage, mais le silence s’installe entre eux, et lorsque le garçon rompt, Pomme est hospitalisée et ne s’occupera plus que travaux de dentelle.
Le film de Goretta, sorti en 1977, est inspiré du roman de Pascal Lainé, qui porte le même titre. Béatrice est une jeune fille qui ne demande rien et s’adresse si peu aux autres qu’elle ne paraît pas avoir le moindre souhait. Cela même lui confère une sorte de mystère. Si elle ne parle pas, c’est, pense-t-on, qu’elle réfléchit… si elle paraît s’ennuyer dans un night-club sans pour autant partir c’est qu’elle plane bien au-dessus de tout cela. Si elle ne participe pas aux activités de son groupe social (représenté par son exubérante copine), c’est qu’elle le dépasse.
En restant là sans participer, toujours en elle-même, elle se détache, semble être l’incarnation d’une femme dans un tableau. Ce tableau pourrait-il vraiment être la Dentellière ?
On songe aussi au Portrait Ovale de Poe, pour le résultat de l’entreprise, car, d’avoir été idéalisée par un homme, toute vie s’est retirée d’elle. Le regard porté sur elle par le jeune homme qui commence à s’y intéresser est fait de malentendus. Ceux-ci consistent à prêter une vie intérieure à un être, qui, pour n’être pas tout à fait comme les autres, n’appartient pas pour autant à cette catégorie de rêveurs.
Dans le roman dont ce film est l’adaptation, on lit que « la chose qu’elle accomplissait, elle l’était en même temps ». Elle ne donne l’impression d’être absente, que d’être au contraire absolument présente, ici et maintenant, et de ne rien garder d’elle en réserve. On l’appelle « Pomme » à cause de ses joues rondes et bien colorées. Ici dans le film, c'est Béatrice : le jeune homme qui s’intéresse à elle, y renonce facilement dans le roman au ton était ironique. On raillait le jeune homme dupe de sa construction de la femme idéale.
Le film n’a que sympathie pour les deux personnages, montrés comme essentiellement malheureux. Et Béatrice y est image de mort. Elle pose longuement devant le cimetière d’Arromanches, et ses grandes croix blanches. Elle porte une minijupe noire. Claude Goretta qui n’aime pas la noblesse a transformé « Aimeri de Béligné, élève de l’Ecole des Chartres et futur conservateur de musée, en un étudiant en Lettres modernes grand timide et boutonneux maigrichon, qui cherche à se cultiver. On le voit besogner sur ses livres, transpirer à ses cours de linguistique. Le premier était élégamment désenchanté, le second st douloureusement pathétique.
Idéalisée par son compagnon, Pomme-Béatrice est d’abord confortée dans le peu de narcissisme qu’elle a, mais il ne réussit pas le miracle de lui faire exprimer une demande d’amour. Il attend cela, croit le percevoir à d’infimes indices, avant que ne se produise la cassure. La fille tombe du piédestal où il l’avait mise et se retrouve en hôpital psychiatrique. Il vient la voir la trouve toute vêtue de noir, tassée sur elle-même, comme la pensionnaire d’un orphelinat, comme une nonne, petite image de cadavre frissonnant : sa métamorphose rappelle en défiguré la fille murée dans le silence mais en bonne santé qu’elle fut.
Béatrice, comme la jeune fille qui inspire Dante dans la Vita Nova, et il ne fait que la contempler. Elle meurt sans qu’il ait pu lui parler. Néanmoins l’impression qu’elle laisse est si forte que son souvenir l’inspire et le fait écrire son grand œuvre. A la mort de Béatrice, il fait son deuil et décide d’écrire son chef d’œuvre. Le film laisse le spectateur à ses interprétations concernant le sens et à ses émotions devant certaines images sobres et pathétiques. Des scènes sonnent juste comme les essais de communication entre Pomme et son compagnon et la peur finale des deux devant le vide qu’elle incarne.
Le roman est psychologique et théorisant et plus dirigiste dans l’interprétation, tout en parlant beaucoup du problème de l’œuvre d’art. Il se demande de quoi Pomme est atteinte, schizophrène, autiste ? Suppose qu’elle pourrait endurer une vie sociale minimale, si on le lui permettait, mais nullement s’investir dans une relation amoureuse. Pourquoi cette fille qui demande si peu de l’existence, inspire-t-elle des hommes qui ne vont pas se plaire avec elle, qui vont s’angoisser de son silence, de son repli exclusif sur le ménage, la vaisselle, le rangement. ? Car pour la plupart des hommes, Pomme devrait être une femme remarquable : elle n’a pas de désirs personnels, ne lit jamais, ne coûte pas cher, accepte les relations sexuelles quand on se fait pressant, s’occupe exclusivement de travaux domestiques. Elle est aussi jolie et bien faite. Que veut-on de plus ?
C’est que Pomme ne les conforte pas dans leur vanité masculine.
Elle ne leur demande jamais ce qu’ils ont fait de leur journée, ne parlent que pour le strict nécessaire. Le vêtement qu’elle repasse la passionne davantage que celui qui va le porter.
Elle les nie en tant que personnes sociales psychologiques et douées de sentiments. Elle les angoisse. Pour ce qui est de l’œuvre d’art Pomme inspire les deux jeunes gens par son air absent qui ( leur) en dit long, par al distance qui émane d’elle. N’étant nulle part, elle leur semble être ailleurs où elle paraît parfois rayonner.
Le Portrait ovale : A mesure que le peintre réalise le portrait de sa femme sur une toile, celle-ci perd toute vie dans la réalité et n’existe plus que sur la toile, scène ou écran sur lesquels se projette le désir du peintre. De même dans le Portrait de Dorian Gray, l’image parfaite de Dorian prend de plus en plus d’importance pour lui au détriment de son être réel. Il ne vit que pour son portrait et agit de manière à y provoquer des modifications. Meurt pour ce portrait. La Dentellière : l’un et l’autre ne peuvent rien tirer de Pomme/ Béatrice. La femme n’est plus un idéal. Elle existe dans la vie de tous les jours. L’inspiratrice déçoit et déchoit. Pomme dispose du langage mais pas des formes de communication avec autrui exigées. Elle sait s’occuper d’elle-même, gérer le budget du ménage, mais pas se procurer de l’argent ( elle se fait renvoyer du salon de coiffure). Elle se laisse entraîner par le premier garçon venu qui la trouve une fascinante créature que l’on voit penchées à leur ouvrage dans un tableau de Vermeer. Pomme n’a pas besoin des gens.
Seulement de certains objets familiers et rassurants qui lui permettent de travailler. La dentellière aime la dentelle, le rouet, le fil, tissu. L’homme lui ne pense qu’au paradis perdu et appelle cette femme Pomme.
Elle finit par être contente de le voir, de l’entendre, de le sentir un peu contre elle. Mais pas trop. Comment ce pathétique jeune homme transforme sa « Pomme » en légume, c’est là le problème.
Le film de Goretta, sorti en 1977, est inspiré du roman de Pascal Lainé, qui porte le même titre. Béatrice est une jeune fille qui ne demande rien et s’adresse si peu aux autres qu’elle ne paraît pas avoir le moindre souhait. Cela même lui confère une sorte de mystère. Si elle ne parle pas, c’est, pense-t-on, qu’elle réfléchit… si elle paraît s’ennuyer dans un night-club sans pour autant partir c’est qu’elle plane bien au-dessus de tout cela. Si elle ne participe pas aux activités de son groupe social (représenté par son exubérante copine), c’est qu’elle le dépasse.
En restant là sans participer, toujours en elle-même, elle se détache, semble être l’incarnation d’une femme dans un tableau. Ce tableau pourrait-il vraiment être la Dentellière ?
On songe aussi au Portrait Ovale de Poe, pour le résultat de l’entreprise, car, d’avoir été idéalisée par un homme, toute vie s’est retirée d’elle. Le regard porté sur elle par le jeune homme qui commence à s’y intéresser est fait de malentendus. Ceux-ci consistent à prêter une vie intérieure à un être, qui, pour n’être pas tout à fait comme les autres, n’appartient pas pour autant à cette catégorie de rêveurs.
Dans le roman dont ce film est l’adaptation, on lit que « la chose qu’elle accomplissait, elle l’était en même temps ». Elle ne donne l’impression d’être absente, que d’être au contraire absolument présente, ici et maintenant, et de ne rien garder d’elle en réserve. On l’appelle « Pomme » à cause de ses joues rondes et bien colorées. Ici dans le film, c'est Béatrice : le jeune homme qui s’intéresse à elle, y renonce facilement dans le roman au ton était ironique. On raillait le jeune homme dupe de sa construction de la femme idéale.
Le film n’a que sympathie pour les deux personnages, montrés comme essentiellement malheureux. Et Béatrice y est image de mort. Elle pose longuement devant le cimetière d’Arromanches, et ses grandes croix blanches. Elle porte une minijupe noire. Claude Goretta qui n’aime pas la noblesse a transformé « Aimeri de Béligné, élève de l’Ecole des Chartres et futur conservateur de musée, en un étudiant en Lettres modernes grand timide et boutonneux maigrichon, qui cherche à se cultiver. On le voit besogner sur ses livres, transpirer à ses cours de linguistique. Le premier était élégamment désenchanté, le second st douloureusement pathétique.
Idéalisée par son compagnon, Pomme-Béatrice est d’abord confortée dans le peu de narcissisme qu’elle a, mais il ne réussit pas le miracle de lui faire exprimer une demande d’amour. Il attend cela, croit le percevoir à d’infimes indices, avant que ne se produise la cassure. La fille tombe du piédestal où il l’avait mise et se retrouve en hôpital psychiatrique. Il vient la voir la trouve toute vêtue de noir, tassée sur elle-même, comme la pensionnaire d’un orphelinat, comme une nonne, petite image de cadavre frissonnant : sa métamorphose rappelle en défiguré la fille murée dans le silence mais en bonne santé qu’elle fut.
Béatrice, comme la jeune fille qui inspire Dante dans la Vita Nova, et il ne fait que la contempler. Elle meurt sans qu’il ait pu lui parler. Néanmoins l’impression qu’elle laisse est si forte que son souvenir l’inspire et le fait écrire son grand œuvre. A la mort de Béatrice, il fait son deuil et décide d’écrire son chef d’œuvre. Le film laisse le spectateur à ses interprétations concernant le sens et à ses émotions devant certaines images sobres et pathétiques. Des scènes sonnent juste comme les essais de communication entre Pomme et son compagnon et la peur finale des deux devant le vide qu’elle incarne.
Le roman est psychologique et théorisant et plus dirigiste dans l’interprétation, tout en parlant beaucoup du problème de l’œuvre d’art. Il se demande de quoi Pomme est atteinte, schizophrène, autiste ? Suppose qu’elle pourrait endurer une vie sociale minimale, si on le lui permettait, mais nullement s’investir dans une relation amoureuse. Pourquoi cette fille qui demande si peu de l’existence, inspire-t-elle des hommes qui ne vont pas se plaire avec elle, qui vont s’angoisser de son silence, de son repli exclusif sur le ménage, la vaisselle, le rangement. ? Car pour la plupart des hommes, Pomme devrait être une femme remarquable : elle n’a pas de désirs personnels, ne lit jamais, ne coûte pas cher, accepte les relations sexuelles quand on se fait pressant, s’occupe exclusivement de travaux domestiques. Elle est aussi jolie et bien faite. Que veut-on de plus ?
C’est que Pomme ne les conforte pas dans leur vanité masculine.
Elle ne leur demande jamais ce qu’ils ont fait de leur journée, ne parlent que pour le strict nécessaire. Le vêtement qu’elle repasse la passionne davantage que celui qui va le porter.
Elle les nie en tant que personnes sociales psychologiques et douées de sentiments. Elle les angoisse. Pour ce qui est de l’œuvre d’art Pomme inspire les deux jeunes gens par son air absent qui ( leur) en dit long, par al distance qui émane d’elle. N’étant nulle part, elle leur semble être ailleurs où elle paraît parfois rayonner.
Le Portrait ovale : A mesure que le peintre réalise le portrait de sa femme sur une toile, celle-ci perd toute vie dans la réalité et n’existe plus que sur la toile, scène ou écran sur lesquels se projette le désir du peintre. De même dans le Portrait de Dorian Gray, l’image parfaite de Dorian prend de plus en plus d’importance pour lui au détriment de son être réel. Il ne vit que pour son portrait et agit de manière à y provoquer des modifications. Meurt pour ce portrait. La Dentellière : l’un et l’autre ne peuvent rien tirer de Pomme/ Béatrice. La femme n’est plus un idéal. Elle existe dans la vie de tous les jours. L’inspiratrice déçoit et déchoit. Pomme dispose du langage mais pas des formes de communication avec autrui exigées. Elle sait s’occuper d’elle-même, gérer le budget du ménage, mais pas se procurer de l’argent ( elle se fait renvoyer du salon de coiffure). Elle se laisse entraîner par le premier garçon venu qui la trouve une fascinante créature que l’on voit penchées à leur ouvrage dans un tableau de Vermeer. Pomme n’a pas besoin des gens.
Seulement de certains objets familiers et rassurants qui lui permettent de travailler. La dentellière aime la dentelle, le rouet, le fil, tissu. L’homme lui ne pense qu’au paradis perdu et appelle cette femme Pomme.
Elle finit par être contente de le voir, de l’entendre, de le sentir un peu contre elle. Mais pas trop. Comment ce pathétique jeune homme transforme sa « Pomme » en légume, c’est là le problème.