Parfum léger. Costume de velours bleu, chemisette à rayures fines. Rasé d'aussi près que possible, sans même une égratignure. Mélange de désinvolture et d'anxiété. Les cheveux agréablement ondulés où se promène un index hésitant. Qu'il les eût d'un châtain si foncé la surprend comme si elle l'avait décoloré depuis lors. Le nez aussi : elle le lui a dessiné vraiment droit, celui-là est nettement plus accusé... Elle se plait à le contempler dans ses vêtements raffinés, pensant au dépouillement qui s'opérera, plus tard, à ce pantalon qui tombera sur les jambes velues embroussaillées...mais pourquoi donc est-elle venue ?
Ils sont dans le vestibule qu'on ne quittera pas avant que les présentations ne soient faites, elle ne sait par qui commencer, ou par quoi.
Elle reste muette.
« Je m'appelle Guillaume, » dit Guillaume à l'enfant. Un timbre grave, aux accents mélodieux.
Personne ne répond.
« J'ai reçu la lettre dit-il à Nelly. Hier.
-Je ne sais pas si tu m'as vraiment crue ?
- Je ne devrais pas ?
« Je n'ai pas tout dit : on est parti hier soir... fait Nelly d'une petite voix.
- tu as une maison là-haut, interrompt le gamin.
- Oui, on va monter.
- Je pensais bien que tu viendrais puisque l'année scolaire est terminée, mais tu aurais pu...
Nelly secoue la tête, éperdue « tout ça, c'est fini. Je suis au chômage.»
Au premier étage, il les conduit vers un long canapé devant une table basse. Dans un vase carré en verre, trois pivoines roses s'inclinent sur le bord
vers le plateau du thé abondamment garni.
On dirait qu'il les attendait
Comme les enfants, il a toujours aimé, se rappelle Nelly, le petit déjeuner et le goûter : il lui faut une bonne collation pour ces moments-là. Le thé, le café, le jus de fruit, les toasts, la confiture, et ces gâteaux ronds et blonds montés sur pied, de gros champignons , parsemés de fétus blancs, et d'où sortent à deux endroits différents de petits cônes, repérables pour des pointes d'ananas, le tout ayant suffisamment d'irrégularités pour avoir été fait sur place, même si la cuisson n'est pas récente.
Des muffins !
Nelly ne put s'empêcher de rire : « Tu cuisines donc? »
-N...Si. Guillaume la regarde bien en face comme pour relever un défi.
Il a le temps, nerveux et un peu blessé, de servir Melchior qui voulait prendre comme lui du thé avec du lait, et le boire à l'aide d'une paille, Guillaume en a des pailles. Ils ont une sorte de conversation à propos du sucre en poudre, Melchior a l'habitude d'en voir en morceaux. Puis il saisit une des pivoines et répand des gouttelettes sur Nelly qui pense avec humeur je n'achète jamais de fleurs.
Elle poursuit, gênée « Tu sais, on n'a plus rien ».
« Plus rien »répète Guillaume
-tu vis dans un quartier plutôt rupestre !
- Rupin ??
C'est l'appartement d'Andrew, je lui paie un loyer, vous resterez aussi longtemps que cela vous plaira... non, Andrew n'attend pas que je lui rende la maison, si bien sûr, il l'espère, mais n'ose rien demander.
Guillaume réussit à se montrer familier et aimable mais une multitude de gestes nerveux et de tics légers trahit tout de même son émotion.
Il a tout d'un coup l'air oppressé, comme si une créature invisible l'attaque, une de ces créatures malfaisantes de qui l'on ne repère la présence que lorsqu'elles se jettent sur leur proie. L'air se refuse à lui, on lui a passé une corde autour du cou, et un étau lui comprime la poitrine. L'ennemi intime ne lui inspire rien d'autre qu'une injonction peu aimable : maintenant que t'as procréé, t'as plus qu'à crever.