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11 août 2008 1 11 /08 /août /2008 23:00

Moins d'une heure plus tard, il quitta le logis en ambulance, et on dût aller le chercher au deuxième étage où il s'était réfugié afin que ses convives ne vissent pas son malaise. Cette fuite exténuante vers l'étage supérieur où l'air se raréfiait toujours plus...

Au téléphone, elle s'exprima dans un anglais trébuchant, craignant que s'arrête ce petit halètement qu'immobile et concentré, il parvenait encore à émettre.

Ouvrir la fenêtre eût été ridicule et inefficace. Elle répétait, ce n'est pas grave, et Melchior l'imitait  en réitérant la négation.

Plus tard encore, elle s'employa à téléphoner aux coordonnées qu'on lui avait remises et après nombre d'essais infructueux, reçut des nouvelles rassurantes, l'injonction de préparer des effets pour Guillaume et de les apporter rapidement.


 Elle s'autorisa à visiter la maison où il vivait depuis près de quatre ans, en commençant par une armoire au second, caressa un peu au hasard les vêtements chaussettes, caleçons, tee-shirts ,s'enfouit convulsivement le visage dans  le pull vert chiné à col roulé, qu'il portait lors de leurs vacances dans deux îles anglo-normandes et sur la côte de Cornouailles, endroits où d'après les dates, ils avaient conçu,  dénicha un unique pyjama, satiné à l'extérieur, avec un imprimé de triangles beige sur fond mordoré ; aucun des boutons ne fermait ; il ne devait pas le mettre, persuadé encore que le port d'un vêtement de nuit quelconque suffirait à lui donner un malaise nocturne: c'était ce type de superstition qui accompagne tout ou partie d'une vie.

 Il possédait aussi des cravates. Des cravates, c'est tellement ringard !

 Nelly se souvint de son père faisant des entrées remarquées qui l'avaient éblouie petite, vêtu d'un costume  de couleur vive, une cravate aux tons multicolores , un gilet parfois, et des gants, puis ce grand chapeau, il est vrai qu'on en portait à l'époque, elle croyait que c'était ça la toilette, le chic, le raffinement ! Et il racontait avec un verbe flamboyant comment il avait vendu pour des sommes pathétiques un ange de jardin, une moulinette, une tronçonneuse, et elle écoutait avec passion...


 Elle remplit une trousse de toilette, porta l'ensemble à l'hôpital, accompagnée de Melk.

Ils restèrent peu de temps auprès de Guillaume, qui était pâle, épuisé, remis de l'essentiel, à savoir que le souffle ne lui faisait plus tellement défaut,  mais  très nerveux, et qui avait voulu  parler, expliquer à Melk, ce qu'il faisait là, ce qu'étaient tous les appareils, suscitant des questions de la part de l'enfant.

D'abord intimidée, Nelly  trouvait difficile d'être là, tenant Melk par la main. Là, c'était quasiment innommable pour elle. Elle n'osait pas le regarder en face, songeant qu'elle n'avait pu le secourir, ni même lui tenir la main, il ne supportait pas qu'on le touche, ni le réconforter. La dernière fois qu'elle s'était rendue dans un semblable lieu, elle y avait vu son père, affligé d'un désordre cardiaque dont il ne devait pas se remettre.

Allongé, dans la même posture, à demi-nu, muni également d'une sonde nasale et d'une perfusion, plus d'autres appareils, dont Guillaume n'était heureusement pas affublé.

Remplie de confusion, parce qu'il lui avait lancé, le père, tout va bien maintenant, lui faisant des œillades, bon pied bon œil ma petite tu va voir avec un optimisme puéril que lui avait facilement transmis le toubib, Son corps avachi, le visage anormalement blanc, cette fausse allégresse vulgaire : il se trompait, se laissait berner, ne voulait pas savoir. Une puérilité très spécifique à l'adulte. Elle avait éprouvé de la pitié, sentiment détestable, ressenti parfois lorsque l'on reconnaît que le caractère spécifiquement humain de celui-là qui est en face, s'amenuise, ou vire à la caricature.


«  Comment allez-vous depuis tout à- l'heure ?

Nelly sursauta  et croisa le regard qui cherchait. le sien. La voix un peu entravée, le teint blême, animé du désir de parler.

« Je croyais que tu dormais, fit Nelly. Elle ajouta très vite : «  je voulais t'accompagner tout à l'heure, on m'a dit pas question avec le petit, on nous a repoussé, ils ont filé. ».

On eût dit qu'elle évoquait des cambrioleurs.

« Ils ont eu raison, ce fut un très mauvais quart d'heure. Si ce n'était qu'un quart d'heure. Je n'étais pas dans le sens de la marche et il me semblait rouler à vive allure vers la porte immense et noire d'une grange où je m'enfoncerais dans une meule de foin qui m'étoufferait encore davantage. »

Les infirmiers voulurent l'intuber, dit-il encore, mais dès que la canule entra en contact avec sa gorge, des vomissements se produisirent et ils durent l'enlever en hâte.

«  T'as vomi ? « demanda Melk, que Nelly espérait rester en dehors de la conversation.

Mais Guillaume lui répéta tout ce qu'il voulut savoir de façon qu'il le comprenne. Il parlait avec ce mélange de détachement et d'intensité qui lui était propre.

« Ensuite je me suis abandonné, j'ai lâché prise. »

« Que veux-tu dire? »

Guillaume  changea de sujet, s'enquit de la manière dont ils s'étaient installés dans la maison. Nelly sentait ses doigts qu'elle cherchait à entrelacer dans les siens, ses doigts nerveux qui remuaient sans cesse.

Elle supposa qu'il avait dû perdre conscience un moment.

Melk lui posait des questions sur les objets qui l'entouraient et les touchait : la sonde nasale ; l'aiguille à perfusion, qui devait faire très mal à son avis, Nelly s'inquiétait, si à présent, il ne montrait que de la curiosité, plus tard, il aurait peur, pensait-elle. Pour faire diversion, elle dit avoir amené un sac contenant un pyjama, une trousse de toilette et les montra.

«  On te donnera un autre sac, fit Guillaume précipitamment, avec mes vêtements de ce matin. Jette-les.

« Mais pourquoi ?

«  Ces affaires sont souillées. Jette-les, ce sera plus simple.

Nelly acquiesça avec l'intention de n'en rien faire, peu soucieuse de jeter des vêtements neufs et seyants. Guillaume répéta plusieurs fois son injonction comme si tout d'un coup, sa vie en dépendait.

Melk paraissait fatigué et donnait des signes d'énervement. Ils se préparèrent au départ, lorsque l'enfant demanda à Nelly  est-ce qu'on va voir Mathieu ?

« Mathieu ? répéta Guillaume.

« Mathieu n'est pas malade », dit Melk résolument,

«  Tant mieux pour lui ».

Nelly parla alors tout aussi ouvertement, pour dire qu'elle avait eu une liaison avec Mathieu, oui, celui-là même auquel il pensait, que c'est plutôt un arrangement, un dépannage, qu'elle a dû l'héberger, oui , horrible mot, mais je le comprends, moi aussi je suis en... congé... il s'est   occupé de Melk, je ne lui ai pas dit  de se taire ... à Melk, d'abord, il est trop jeune,  et puis je  méprise les crachotteries, les.. et toi Guillaume tu n'es pas resté seul tout ce temps, moi non plus, on était libres, non?


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