Minuit, 2004. 171 pages.
Ils se sont connus adolescents. Tony aimait Pauline qui ne le lui rendait pas. Pour ne pas la perdre tout à fait il a joué la comédie de l'amitié, l'a hébergée chez lui lorsqu'ils étaient étudiants, et endurait ses liaisons. Pauline se prêtait au jeu, tous les voisins les croyaient amants, et il en était fier.
Pauline un jour est partie rejoindre un homme, « faire sa vie ». Tony n'a pas fait la sienne. Il a abandonné ses études, fait de petits boulots épuisants, vagabondé un peu, eu des maîtresses d'un soir, en pensant toujours à Pauline. Qui est revenue, quelques années plus tard. Est-ce que Pauline veut de lui enfin ?
« Oui les rêves scandaleux qu'il avait faits, qui n'étaient rien, juste de voir Pauline partager un appartement avec lui, de la voir seule, sans homme avec elle, et ne pas avoir cette torture à endurer d'être bousculé dans son rêve par un troisième larron. Et là au plus fort, voir coïncider ce rêve et la réalité quand il a ouvert la porte de chez lui et qu'elle est entrée la première dans l'appartement. «
Tony a, pour elle, refait à neuf, l'appartement où il vivait dans la négligence, sans l'habiter vraiment.
Mais le rêve tourne court. Pauline à nouveau ne recherche que l'hébergement. Et son ami qu'elle a connu au loin vient la rejoindre. Pauline est contente, je vais déménager. Tony craque....
C'est le père de Tony qui raconte la première partie de l'histoire, puisqu'un jour, ce fils qu'il ne voyait jamais, est venu tout lui dire, après avoir quitté son logis, également déserté par Pauline. La seconde partie est le récit de Guillaume, l'ami de Pauline, confronté à cet étrange rival qu'est Tony, maintenant absent, plus dangereux qu'un vrai...
De phrase en phrase, de ressassement en détails de vie clairement décrits, on s'interroge toujours plus sur ce lien entre Tony et Pauline, à travers la parole du père, et les rapports conflictuels qu'il entretient avec son fils.
La jeune femme change de visage au cours de ces narrations qui sont tout autant des évocations que des enquêtes pour préciser les choses.
Pauline semblait n'avoir pas compris les véritables sentiments de Tony à son égard, mais il apparaît qu'elle savait. Jouait-elle à le faire souffrir, profitait-t-elle de lui, appréciait-t-elle cette amitié ambiguë, ou à l'opposé n'osait-t-elle pas le lâcher, de peur de provoquer un désastre ?
« mais au début trop d'ivresse. Au début, trop de souvenirs et d'histoires à se raconter, avec la ferveur de voir et de ressentir qu'il y avait entre eux toujours la même facilité, le même abandon à se laisser être bien, comme ça, plein de la certitude que dans le regard en face il n'y a rien des doutes et des méfiances dont on se protège des autres. »
Cette ivresse n'est là que pour masquer un profond malaise, que tous deux éprouvent et ne disent pas.
L'auteur excelle à rendre cette «parodie du couple » qu'ils jouent jusqu'à l'impensable avec un zèle qui masque la haine et l'effroi
« Il fallait qu'il dise à quelqu'un comment pour se protéger d'elle, des doutes qu'elle aurait pu avoir sur ce qu'il osait rêver d'eux, il avait fallu encore davantage se moquer de ce qu'ils partageaient, un appartement ensemble, rire d'un baiser sur le front qu'on donne en rentrant, rire des mots, tu as passé une bonne journée, tout saccager pour ne pas rendre possible ce qu'il aurait voulu, parce qu'il savait que pour profiter seulement de la présence de Pauline, il fallait qu'elle ne doute pas de l'innocence entre eux, ni de la vieille amitié, ni du sentiment de fraternité."
La langue de l'auteur souple et bien rythmée, n'a rien d'abstrait pour ce qu'elle parle de sentiments (après tout, il s'agit d'une version moderne de ce que l'on appelait jadis le roman psychologique). Beaucoup de descriptions sont étonnantes de précisions, de crudités, de petits détails qui se répètent en révélant un peu plus à chaque fois.
« Qu'elle puisse se dire, Pauline, après ce jour, l'étendue du mensonge et la terreur qui s'ouvrait, qu'elle aurait refusé de croire si les images ne lui étaient pas revenues, ni les odeurs, atroces, écœurantes, des flaques jaunâtres de la pisse du chat, des sacs-poubelles éventrés qui dégueulaient dans la cuisine leur pourriture de viande et d'os rongés, de jus mêlé de cendres et de mégots ».
Voilà, c'est un chef d'œuvre.
Quelques bonnes chroniques à propos de Mauvignier :
Lily pour « Apprendre à finir »
La Lettrine pour « Dans la foule »
Anne-Sophie pour " Dans la foule"
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