Avec les frères Dardenne, c'est toujours la première fois... Souvent, j'ai vu,mise en scène ,l'expérience de l'addiction à la drogue dure, mais je n'avais aucunement approché l'horreur de la chose, avant de voir la détresse de Claudy, composition prodigieuse de Jérémie Régnier (meilleur que dans l'Enfant)
Lorna est une jeune albanaise, jolie et volontaire, qui a contracté avec Claudy un mariage blanc, pour acquérir la nationalité belge. Lui voulait sans doute de l'argent pour s'acheter de l'héroïne, mais il essaie de se sevrer. Ce n'est pas le problème de Lorna, pressée de divorcer, pour se remarier avec un Russe, désireux lui aussi de devenir belge. Avec l'argent de ces secondes noces blanches, elle veut ouvrir un snack au centre ville, et vivre avec Sokol, son ami, qui travaille dans un réacteur nucléaire en Allemagne.
Lorna, elle-même ne chôme pas ; tous les jours, elle est levée à six heures ,et travaille dans un pressing jusquà la tombée de la nuit à blanchir on ne sait quel linge... Mais de mariage blanc en mariage blanc, elle en voit de toutes les couleurs.
Toutes ces transactions sont réglées par Fabbio, une vraie crapule ,qui provoque le décès de Claudy par overdose, afin d'activer le processus.
Cette mort rend Lorna à elle-même. Elle se rend compte que la vie humaine ne vaut pas cher pour ces messieurs, même pas aux yeux de son ami Sokol, qui en outre, l'a laissée supporter de dures épreuves, sans y prendre part... Lorna comprend qu'elle avait noué des liens avec Claudy, dont elle se défendait, et qu'il était le seul à la respecter, à avoir de l'affection pour elle. Elle s'imagine enceinte de lui, refuse de poursuivre l'ignoble marché de Fabbio, se sauve dans la forêt, parlant à un être, son bébé imaginaire, et sans doute aussi le fantôme de Claudy. Car Claudy, dépendant, se conduisait avec elle comme un enfant, réclamant de l'aide, qu'elle lui donnait avec parcimonie.
Comme tous les films des Dardenne, la fin n'est pas donnée. Le héros est engagé dans un processus, auquel on peut imaginer une issue plus ou moins favorable. Issue indécidable dans le Fils, peut-être favorable pour Rosetta qui renonce au suicide, presque happy end dans l'Enfant, ici nettement plus sombre. Lorna se trouve dans une situation impossible et de plus, elle semble avoir perdu la raison.
La caméra suit Lorna dans tous ses déplacements ; la jeune fille est tendue, volontaire, vive, énergique, éperdue à la fin.
Son existence « maritale » avec Claudy donne lieu à des scènes fortes et violentes., Nous soupçonnons que cet homme, qui l'avait épousée pour de l'argent, s'en est épris, à sa manière.
Dans ce film, un certain nombre de plans et séquences sont des événements esthétiques. Les frères Dardenne s'autorisent maintenant
l'esthétique, la beauté plus ou moins gratuite...
Lorna vient d'entrer dans une pièce, sa silhouette se découpe sur un mur blanc et un peu de son ombre sur le mur voisin, l'effet est remarquable, je ne saurais dire pourquoi.
Lorna a signé pour acquérir les locaux où elle pense ouvrir un snack, elle grimpe à l'étage et se trouve face à une fenêtre obscure. On a l'impression qu'elle va plonger dans le néant.
Bizarrement, les fenêtres de l'hôpital où Claudy séjourne, donnent sur un paysage irréel blanc neigeux, où de vagues objets colorés émergent. La même apparence de paysage s'observe à travers la vitre du futur snack où Lorna dit « j'aperçois le jardin ».
La forêt où elle s'engage paraît bouleversante, les arbres y sont immenses, mais plantés de façon clairsemés. La jeune femme est dans une situation de
détresse, mais elle se déplace avec détermination. Ce n'est pas la femme perdue dans la grande forêt. Pas de feuillages touffus non plus.
On peut dire que, dans cette histoire, tous les clichés sont évités ou contournés. Ce qui y contribue, c'est l'attention portée à tous les détails que l'on ne montre pas d'ordinaire. Le film s'ouvre sur un comptage de billets de banques qui passent d'un guichet à un autre. Paiement pour le mariage blanc. Les billets montrés en gros plan ont une mobilité inattendue.
Lorsque Lorna dit qu'elle va pisser dans le fossé, un alibi pour téléphoner, on la voit faire dans le menu, tous les gestes adéquats.
La comédienne participe à la tension dramatique : jamais éplorée, l'expression toujours fermée, tendue, sauf pour de brefs instants de joie, vite interrompus. Chacun des personnages même les secondaires, à l'exception du malfrat, et du copain Sokhol, semble vivre un drame intérieur
Un film inoubliable.
Pour davantage d'objectivité :
Lire L'avis de dasola
et aussi la chronique de Papillon