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26 mars 2007 1 26 /03 /mars /2007 10:20

Transi par une brume matinale bien tassée. Mathieu longeait le square de la Trinité où la veille, il avait cédé à une tendre proposition.

  Il voulait y faire halte à nouveau pour fumer une cigarette. Evitant les bancs mouillés, il leva la tête vers les gargouilles qui avaient l'œil fixe, la bouche sèche et muette. On avait vidé le bassin et les vasques. Au-dessus, la Foi, l'Espérance et la Charité continuaient d'héberger les pigeons, juchés sur leurs mains, épaules,  et têtes.

A la recherche d'une place pouvant lui convenir  il  suivait l'allée sablonneuse lorsqu'il se heurta vivement à quelqu'un, et, se rejetant en arrière, reconnut Guillaume. Presque aussitôt, il s'entendit  demander par une voix  rauque et cassante  s'il revenait de chez Nelly.

 Guillaume l'a vu entrer dans le square, et il sait que Mathieu très isolé ne connaît personne dans ce quartier ni dans aucun autre. Personne susceptible de l'inviter excepté Nelly et lui. Il n'est que neuf heures, nous sommes dimanche et  Mathieu ne se rend pas à la messe. De l'église leur parvient un vigoureux   carillonnement. Guillaume a deviné.

  - Pas du tout. Je ne sais même pas où elle habite. Je me promène.

-D'habitude, tu ne te parfumes pas à la mandarine et à la cannelle.

Mathieu s'irrite encore davantage devant la fureur de Guillaume. N'importe, il ne se laissera pas faire. Ne lui doit rien. Mais que gagne-t-il à jouer les remplaçants?

 -Et alors ? J'ai bien le droit, moi aussi... puisque vous vous laissez libres.

-Je ne couche pas avec ses amies, reprit Guillaume d'une voix coupante. La brume s'étant levée, on voyait très distinctement les traits de son visage contractés par la colère, ce qui rendaient ses yeux pareils à des fentes. Quand il jouissait, peut-être avait-il ce même regard ?

Mathieu s'effrayait, non sans un certain ravissement, d'être en contact avec une forte présence. Comme s'il  se trouvait devant Guillaume pour la première fois.

Cependant,  il adopta  un ton aussi violent que l'autre.

-Vraiment ? Je n'en crois rien. Et si même... Tu ne te prives pas beaucoup ! A mon sens elle n'a qu'une seule amie. Tu .t'envoies toutes les filles que tu peux, et Nelly comme la première d'une sorte de harem disséminé.

-Un harem ! fulmina  Guillaume.

Ils restaient l'un devant l'autre, à se toiser sans se toucher. Guillaume serrait les poings, haletant. Il ne serait pas en mesure de le battre.

 Mathieu pensa que Guillaume était jaloux,  pour la première fois peut-être. Il allait occuper toutes les pensées de Guillaume mais ce serait la haine et non plus l'amitié. Une frayeur le saisit.

-Excuse-moi, je ne savais pas que tu... à ce point-là.  Hier, j'ai même cru que si tu étais parti sans elle, c'était pour en retrouver une autre, ou pour me la laisser, en quelque sorte. Pour qu'on partage, pour se rapprocher les uns des autres.

La belle histoire à trois ! Mathieu sentit les larmes lui monter aux yeux, oubliant que tout à l'heure il avait proposé à Nelly de ne sortir qu'avec lui et rêvé  d'écarter Guillaume.

 L'intéressé ne cacha pas sa stupéfaction.

   -Je suis très sympa, railla t-il, mais à ce point-là ! Il y a toutes sorte de gens qui partagent leur copine, sans doute ! Mais cela dépend à quel prix on l'estime !

   -Mais, ajouta Guillaume, soudain anxieux, c'est ce qu'elle t'as dit. ? C'est ce qu'elle veut ?

Ah, il n'était pas si sûr d'elle !

      -Ce n'est pas toi qui a été la chercher, ça je m'en doute.

     - Tu m'en crois incapable bien sûr, cria Mathieu, avec violence. Il s'avança, menaçant, puis recula, serra les poings,  bomba le torse, leva le bras, hésitant .Il ne s'était jamais battu. Comment faisait-on ?

  -Non, fit Guillaume, la voix enrouée mais audible, on ne se casse pas la gueule. S'il te plaît !"

    Il s'assit sur le bord du bassin dans l'allée sablonneuse invitant Mathieu à en faire autant. Ils  tournaient le dos aux gargouilles et contemplaient des massifs bourgeonnant et des parterres de tulipes fauves. Guillaume toussait et fouillait sa poche de veste. Un paquet de Camel entamé apparut. Mathieu voulut bien en accepter une. Le square suait de givre printanier, de rude rosée matinale.

Ils fumèrent en silence.  On entendait le roulis insistant des voitures qui passaient au-delà des grands massifs verts, la respiration un peu sifflante de Guillaume, et  Mathieu qui fredonnait à voix basse. .

    - Que chantes-tu ?

   Mathieu fut obligé de le regarder.

- Tu ne l'as pas fait exprès.  D'arriver si tard, c'est à dire si tôt?  De me laisser avec elle?

-.Tu crois que je m'amuse à de pareilles combines! Si j'avais voulu vous laisser ensemble, vous ne vous seriez pas prêtés au jeu.

-Sans doute, fit Mathieu. Mais j'ai profité de la chance d'être sollicité par une jolie fille, et qui n'est pas sotte. Pour une fois...Mais, elle voulait seulement te rendre jaloux

Guillaume acquiesça.

 C'est une chance qu'on se soit rencontrés, ajouta t'il quelques instants plus tard.

-En effet. Tu peux y aller à présent.

-Tu ne penses tout de même pas que maintenant j'irai ! Je déteste ce type de mélange.  Au fait, je t ‘en ai présenté des filles.

-C'est vrai. Mais chaque fois que tu m'attribues une  fille pour la soirée on se quitte froidement tous les deux, ennuyés du rôle qu'on devrait jouer.

   -Ce n'est pas simple. Tu ne dis presque rien en société, sauf si tu réussis à trouver de l'alcool, et alors là...tu  joues je ne sais quel  piteux numéro.

   -Si je fais fuir tes amis, on se verra tous les deux seulement.

   -Pas question ! Guillaume secoua énergiquement la tête. Tu dois venir quand je t'invite, et parler un peu. Je ne conçois pas notre relation autrement.  Et promets-moi de la laisser, Nelly,  même si elle te fait encore des avances.

Mathieu promit.

Ils se turent. Guillaume entendait Mathieu qui persistait à chantonner un air dont il mangeait la moitié des notes,  un air grossièrement rendu, mais reconnaissable, un air qu'il exprimait d'une manière tendre et gaie puis dans une seconde reprise vive et enlevée voire triomphante. Tout cela contrastait fortement avec l'expression de son visage, butée, accablée, à ses yeux qui semblaient avoir condensé en eux toute  la brume matinale.


The foggy dew, se dit Guillaume, c'est étrange comme soudain il a envie de le protéger. And the only only thing that I did that was wrong was to  keep him from the foggy  foggy dew...


Mais Mathieu fredonne toujours avec obstination.

Guillaume se met à chanter à  voix haute.  

 Mathieu s'interrompt. Lorsqu'il  est mal à l'aise, pour combler un trou, par ennui, et même de bonne humeur il psalmodie à sa manière, inconsciemment parfois.

- C'est un air facile à mémoriser, bougonne  t'il. Je ne choisis pas. Ne chante pas si fort. On a l'air de quoi?

 Guillaume continua ainsi quelques instants, entre deux quintes de toux à ramener à la surface les notes enfouies, oubliées. Bientôt, il le quitta, disparut vers de nouvelles aventures.

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