Le dernier invité parti, Nelly entreprit de débarrasser la table du séjour des restes qui l'encombraient, déposant un amas d'objets disparates sur le plan de travail contigu à l'évier, avec un regard surpris ou dégoûté sur chaque chose ne sachant décider si c'était ou non un déchet. Guillaume s'affairait à déplacer les objets oubliés sur le sol comme s'il remettait de l'ordre. Ils se croisaient et s'observaient avec prudence et perplexité, comme s'ils craignaient de s'invectiver encore. De temps à autre, ils émettaient un avis : Cette société est trop hétérogène. Oui ton cousin, coutumier des mets fins, et des rencontres au sommet avec d'excellentes personnes...n'était pas à sa place. C'est qu'il méprise notre musique ! Qu'est-ce que « notre musique » ? De quel clan s'agit-il ?, toi même Guillaume, ce n'est pas un clan qu'il te faut mais un sérail... ! Je déteste les insinuations ! Mais pas les nymphettes !... Ce qui m'a tourné la tête, c'est ton eau de toilette ! Je l'ai jetée ; c'est exotique, peut-être, mais l'odeur en est intolérable. J'ai failli crever. Dommage que tu t'en sois tiré! Je croyais que tu n'étais pas allergique, sauf à certaines situations. Chez toi, il flotte souvent une odeur de térébenthine, elle ne t'indispose pas.
Ils convinrent que le café était correct, les chips honorables et la conversation décousue.
Guillaume lui remit un un tout petit paquet carré enrubanné qui tenait dans la paume et ne pesait rien. Surprise, incrédule, elle l'observa avec une sorte d'inquiétude.
C'était de petites boucles d'oreille, pas du tout des boucles mais des pendants en forme de feuilles. Feuilles d'arbre. Feuilles d'or. Naïvement, elle se demanda si c'était de l'or massif !
Elle retira les minces anneaux qu'elle portait depuis toujours et s'observa dans la glace au-dessus du lavabo.
Les pendants étaient-ils assez grands pour lui allonger le visage ? Afin de bien les voir, il lui fallut rejeter les cheveux en arrière, puis les relever. Pour la première fois, elle pensa à couper ses cheveux qui croissaient en toute liberté depuis leur création. Une collection un peu floue de visages à coiffures courtes se forma dans son esprit..
Elle aussi avait un objet à lui remettre : les clefs du studio, une grande et une petite pour la serrure de sécurité. Il considéra les deux clefs avec gêne.
« C'est, balbutia Nelly, pour que tu puisse venir quand tu le veux. »
« Mais oui, je... c'est une bonne idée », répondit Guillaume, qui ne pouvait pas refuser ces clefs qu'il jugeait pourtant tout à fait inutiles, et même très embarrassantes.
Pour Nelly, les jeux étaient faits.
Tandis qu'ils étrennaient la baignoire, enlacés dans l'eau, avec des gestes lents, des ébauches d'étreinte, des baisers de vin acide et de chips salées, Nelly lui demanda si vraiment, il avait vendu un de ses dessins à une psychologue, autrefois.
- Non, je lui ai seulement dit que ça valait huit francs parce que... j'avais huit ans. Crois-tu qu'il existe des thérapeutes assez stupides pour acheter un dessin à un...jeune patient ? Ou assez hypocrites ?
-Et si c'était un geste d'humanité ? Montrer qu'elle s'intéressait à lui, qu'elle le prenait au sérieux ?
- Tu ne comprends rien à la thérapie. Elle a convoqué mes parents, voulant savoir lequel des deux ne voulait pas payer ce traitement. Voilà tout.
Lorsqu'il la rejoignit sous les draps, hasardant quelques gestes tendres, elle secoua la tête, toute mouillée. « Attends un peu. Pourquoi tu m'as ...heu...pourquoi les boucles d'oreille ?
-Si !elle me plaisent, ce n'est pas la question.
-Vraiment, tu ne crois pas que j'ai voulu t'acheter ?
Guillaume s'assit sur la couche, désemparé, baissant les yeux sur le drap. De l'autre côté, Nelly se penchait vers le sol et enfouissait dans une corbeille à papier pleine de déchets des plaquettes de pilules bleues.
-Ne puis-je même pas te faire un cadeau ?
- Maintenant, oui. Viens.