La sage-femme l'observe quelque secondes avant de lui intimer l'odre de se dévêtir.
Elle doit quitter pour toujours sa robe noire agrémentée d'éclats bleus et rouge vif entre étoiles et soleils. Mais elle continue à parler,
Elle n'aime pas rester allongée les jambes écartées, dans une lumière aveuglante, entendre que le col est à trois, quatre, et elle invente sans reprendre son souffle, le plus longtemps possible, son existence avec le prof d'université qu'elle aurait épousé deux ans plus tôt, leur rencontre dans une île anglo-normande, pendant des vacances, le temps était plutôt froid, mais ... ils aiment tellement les îles qu'ils sont partis à Ouessant, des fous, on a vu de vrais fous, elle ne s'arrête plus, personne ne lui répond depuis longtemps, mais elle va bientôt se taire, les contractions( il ne faut pas dire les douleurs ), se font réellement violentes.
Elle a tout oublié des cours d'accouchement, c'était de la blague, juste un peu de gymnastique, ou plutôt des façons de respirer, elle n'y a pas cru :il lui déplaisait de se concentrer sur quelques mouvements respiratoires pour oublier le mal,
La mise au monde est une grande chose et ce serait mesquin de la réduire à un vulgaire processus physiologique à maîtriser.
Voilà ce qu'elle a pensé sans vraiment se le dire. Et de préférer les grandes choses, d'opter pour la malédiction biblique, ça se paie !
Maintenant, elle ne peut plus se contrôler, et ce n'est pas comme chez le dentiste, on ne peut même pas s'évader, s'imaginer être ailleurs, on ne peut pas. Sans doute qu' Alida, sa belle-mère, elle l'appelle comme ça et ne songe plus à s'en étonner, a reçu, comme la reine Victoria, une anesthésie de la part de son accoucheur préféré. Salope ! Elle m'aura eue jusqu'au bout !
C'est sa dernière pensée juste avant ce temps infini, qui sépare le début de contractions vives qu'on lui a accélérées, et la descente du bébé dans le petit bassin. Pendant ce temps, et peut-être durant les quelques minutes qui suivent, elle crie, gesticule et frappe tout ce qui passe à sa portée.
L'équipe médicale l'invective avec autant d'élan que les inspecteurs de l'Education nationale. Le climat frôle l'insurrection. D'un côté comme de l'autre on s'injurie, la sage-femme simplement désapprobatrice tout à l'heure, se mue en furie et Nelly ne le lui céde en rien. Pour l'anéantir, on lui attache les mains, on lui colle un masque à oxygène sur le visage, elle proteste ce n'est pas d‘air que je manque, le repousse on récidive, elle veut s'enfuir, on la retient, on lui remet sans cesse les pieds dans les étriers. Les jeunes femmes prononcent à son encontre de multiples condamnations : elles n'ont jamais vu ça. .Se conduire d'une manière tellement irresponsable. On ne devrait pas permettre à « ça » de faire des enfants !
De temps à autre le gynécologue au physique agréable s'approche, puis disparait de son champ de vision.
Quelque chose se produit pourtant, une nouvelle sensation, une masse énorme s'est logée,mine de rien tout en bas d'elle même, qui lui écartèle les chairs. et dont elle ne peut rien imaginer sinon qu'elle devrait aller à la selle, mais la substance obstrue les voies naturelles. Il n'y a plus que ça, ce bloc de matière, cette ignominie dont on ne peut se débarrasser ... non seulement, elle ne voit rien, et ne peut plus imaginer, mais au lieu d'encouragements, elle entend des reproches, et en même temps des exhortations : Poussez donc ! Mais poussez ! Elle ne pousse pas ! Il y en a qui n'ont même pas d'instinct ! Mais poussez donc ! Même les animaux savent ! (Ils ne se plaignent pas, devrait-on également ajouter).