POL, 2008. 168 pages.
Quatre narratrices d'âges divers vivent chacune une épreuve, le soir où le couple mal assorti du domaine de la Pierre Mauve reçoit des invités qui ont en commun d'avoir tous fréquenté la même classe de CM2 au village, presque trente ans plus tôt en 79-80.
Cette réunion est de très mauvais goût, nous le sentons...
La femme du maître de maison, la quarantaine, souffre de l'oreille : un insecte y a pénétré qui ne sait comment sortir « La douleur juste un peu loin forte, juste pour que je puisse sentir comme inversé le corps de la bête, il me semble qu'elle a de longues pattes remuantes, une araignée fine. Mais la douleur se tourne un peu, et mes sensations ne sont pas les mêmes, elle a des ailes, c'est sûr, elles vibrent, légères, et ça me cisaille, ça me creuse jusque dans la tête comme une perceuse minuscule et pourtant d'une efficacité extrême, un cri, ça creuse mes nerfs, jusqu'à l'intérieur de ma gorge... ». Cet objet qui la fait souffrir, elle tente de l'apprivoiser en fantasmant sur lui en attendant la délivrance...
Son employée de maison l'intrigue aussi, elle l'envie d'avoir le droit de nettoyer » s'occuper du temps et de l'espace autour de soi, avoir conscience du corps et de l'espace, et dut temps qu'il occupe. Se situer. Faire le ménage, aussi, c'est écrire ».
Mais la femme de ménage possède un carnet dans lequel elle écrit des « poèmes plutôt hard... » pour parler de mains obsédantes, des mains gamines, « d'un sexe aux lèvres cousues...des sexes bogues, aux piquants rétractiles, qui se baissent lorsqu'on écarte les cuisses, avec une châtaigne de lait comme une couvade défendue, qu'aucune mains n'éboguera ». La femme de ménage faisait partie de la fameuse classe de CM2 et ne s'en est pas remise. Mais elle est devenue écrivain.
A la Pénibe, un domaine proche, une femme âgée souffrant elle aussi de l'oreille (déséquilibres dus au syndrome de Ménière ) et tourmentée aussi par un animal ( un loir qui loge à proximité de sa chambre) évoque la mise au monde de son fils. Elle fut « mal recousue » et tellement abîmée qu'elle n'a pu, depuis cette époque, supporter les rapports sexuels. Son fils Claude est invité ce soir à la Pierre Mauve. Il était de cette fameuse classe de CM2 avec ceci de particulier qu'il n'ennuyait pas Emma, (la femme de ménage, nommée une seule fois) à l'inverse des autres garçons. La narratrice se plaint : pourquoi aller à la Pierre Mauve, ils sont trop riches pour nous, on va être mal à l'aise.
A l'Ensoleillée, maison de retraite, l'institutrice de cette classe de CM2, finit ses jours, mal en point, souffrant d'acouphènes, de bourdonnements incessants : « j'entends pas certains sons, et les autres grossissent par-dessus... et alors je comprends pas les mots, tellement j'en ai du son... ». Emma, femme de ménage à la Pierre Mauve, et aide-soignante ici, lui demande de se souvenir de cette année là, lorsque les garçons la tourmentaient « avec leurs mains ». L'institutrice feignait de ne rien voir....
A la Pénibe, une fillette de douze ans, petite fille de la mère de Claude, et nièce de cet homme, se raconte des histoires somptueuses (elle va au bois près de l'étang et y voit une licorne boire, passe sa main le long de la corne). Elle aime « le Moyen Age, et les troubadours, et les stylos » ( c'est fou ce qu'elle me ressemble...)
La petite sait tout : elle a entendu parler par son tonton Claude du viol (avec les mains) d'Emma .
La petite a souffert, enfant d'une hernie, » là où je me pense » (dit sa grand-mère) et de ce fait, elle craint ses premières règles imminentes...
Lorsqu'elle racontera sa soirée à la Pierre Mauve, elle aura encore davantage enduré, malgré la protection de son oncle.
En effet, la femme qui a un insecte dans l'oreille, se fait violenter, au moment où on lui retire l' »insecte », Un « flocon de laine urticant », soit un peu du drame qu'elle partage avec son employée...
C'est donc une longue métaphore que l'on tisse à propos de vers à soie : pour la femme violée ils servent à la protéger, du moins elle en rêve : lui tisser un cocon protecteur du sexe.
Mai selle écrit sur ce sujet des textes poétiques (des « vers à soi », de la poésie personnelle ...)
Pour la femme de maître de maison ingrat (et violeur), l'insecte se niche dans son oreille, et le geste de le lui retirer équivaut à un viol(les hommes s'en sont mêlés, ils étaient saouls...).
Pour la femme âgée, le viol s'est produit à l'occasion d'un accouchement et le fils qu'elle a engendré a tellement conscience d'avoir abîmé sa mère qu'il ne touchera jamais
aucune femme. La fillette elle a été malformée (une hernie, l'opération fut ressentie comme un viol).
Ce que l'on aime dans ce roman : que les femmes parlent si bien de leur corps, de leurs douleurs, avec des mots à la fois précis et poétiques, des métaphores délicatement tournées. Que les unes et les autres se retrouvent en un ensemble solidaire qui se comprend sans forcément se parler. Que les hommes n'aient pas le beau rôle. Que l'écriture soit présentée comme une parole singulière qui énonce des vérités que la société ne veut pas savoir. Que toutes ces femmes soient si proches de nous que l'on croit les connaître.
J'avais consacré un article aux Adolescents troglodytes.
Je compte lire aussi son premier roman " Le Tiroir à cheveux".
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