Ce roman le premier de l'auteur, a été publié pour la première fois en 1982, il n'avait alors que 28 ans.
Il a obtenu le prix du meilleur premier roman 1984. L'exemplaire que j'ai en main est paru dans la collection 19/18(Domaine étranger) en 1990.
Etsuko, la narratrice parle à la première personne. Veuve, elle vit en Angleterre à la campagne, et vient de perdre sa fille aînée Keiko qui s'est suicidée quelque part à Manchester et dont elle n'avait plus guère de nouvelles. Son autre fille Nikki vient lui rendre une visite d'amitié de quelques jours. Pendant ce séjour, elle évoque sa vie au Japon, à Nagasaki, au début des années 50, plus précisément une amitié éphémère avec une femme Sachiko qui semble avoir beaucoup compté pour elle. Ses souvenirs alternent avec le récit du séjour de Nikki.
Juste après les horreurs de la guerre, Etsuko, fraîchement mariée à Jiro, un homme d'affaire très occupé, et enceinte de trois quatre mois, vit dans un HLM, et s'ennuie à mourir. De sa fenêtre, elle voit un terrain vague, une rivière boueuse, au-delà une maisonnette en bois, et au loin ces fameuses collines dont il est question dans le titre, et qui sont le seul spectacle qui lui plaise.
« Je passais de longs moments-comme je devais le faire au cours des années qui suivirent- à contempler d'un œil vide la vue de ma fenêtre. Par temps clair, je pouvais voir, loin au-delà des arbres qui poussaient sur l'autre berge de la rivière, une ligne de pâles collines qui se découpaient contre les nuages. Cette vue n'avait rien de déplaisant, et elle parvenait quelquefois-rare apaisement- à me soulager du vide des longs après-midi que je passais dans cet appartement. »
« L'œil vide » revient périodiquement dans le récit. Tous les personnages vont avoir à plusieurs reprises un regard ou un œil vide, en toute circonstance. S'agit-il d'ennui, d'absence, ou de cette tabula rasa que la bombe à Nagasaki semble avoir créé, non seulement chez les survivants mais aussi bien chez leurs descendants ?
Elle s'intéresse à Sachiko qui squatte la maison en bois où elle vit avec sa fillette de dix ans Mariko. Les voisines cancanent à propos de l'amant américain de Sachiko, des sa grosse voiture que l'on voit passer, de la fillette qui ne va pas à l'école...
Pendant quelques semaines Etsuko va la fréquenter, lui trouver un petit job, lui prêter de l'argent, s'occuper de sa fillette sauvage, et traumatisée par une mystérieuse femme (imaginaire ?) qui voudrait l'emmener, suivre l'évolution des rapports de Sachiko avec son ami américain, un personnage qui paraît très négatif, mais auquel Sachiko, qui rêve de l'Amérique, s'accroche de toutes ses forces. Etsuko passe aussi du temps avec son beau-père ,vieux monsieur sympathique, et son mari qui semble indifférent à tout autre chose qu'à ses affaires.
Kazuo Ishiguro est un maître dans l'art du suspense : nous attendons tout le temps qu'un drame se produise, comme si un gros nuage noir planait dans un coin du récit, sans l'assombrir vraiment. Le moindre petit détail pèse son poids d'étrangeté...
Pendant le séjour de Nikki, Etsuko et elle sont toutes deux angoissées, et fuient la chambre de Keiko, de laquelle semble parvenir des bruits légers comme si elle était hantée. Ce sentiment les rapproche La rencontre avec une voisine renforce le sentiment de malaise : Etsuko n'a parlé à personne du décès de sa fille et la voisine confond Nikki avec la morte.
Le récit d'Etsuko se clôt de façon énigmatique, à tel point que nous ne savons comment interpréter ses propos. Le récit tout entier que l'on relit, en se livrant à de multiples hypothèses, y gagne en épaisseur, et nous paraît finalement plus mystérieux qu'énigmatique.
Je me rends compte que l'auteur a prêté à son héroïne un monologue où, à l'opposé de ce que l'on attend d'un semblable discours, elle ne dit pas ce qu'elle pense, pas plus que si elle parlait d'elle à la troisième personne...et pire, elle semble taire certaines choses, que l'on pourrait deviner mais qui ne se disent pas. Elle note des sensations des faits, des paroles et des ambiances, d'une façon distanciée.
L'intérêt du récit tient à ce qui est tu, à ce qui est entre les lignes, et confirme mon intérêt pour cet écrivain très original.
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