Edité en 10/18 (Domaine étranger)
Les nouvelles de Schnitzler sont basées sur trois thèmes
1 l'art, la création artistique.
2 Les relations amoureuses entre hommes et femme, et aussi entre mère et fils ( Mme Beate et son fils)
3 La mort.
Le style est vif et simple, grand usage du discours indirect libre, du monologue facile à comprendre ( on ne rompt pas les digues, les repères, on ne tombe pas dans le monologue intérieur) . Une écriture très classique, cherchant la précision dans les termes, une intelligence aiguë.
Ah quelle mélodie ! Parue en 1885.
Un jeune enfant compose sans y penser en état de « rêve éveillé » une mélodie , puis la laisse s'envoler la partition par la fenêtre. Il n'y attache guère d'importance. Un autre la récupère, un jeune homme qui se veut compositeur et s'est essayé sans trop de succès à la création. Le morceau qu'il emmène chez lui pour en faire des variations il le rend célèbre. Ne pouvant créer une autre mélodie de lui-même, il se suicide.
L'enfant ayant entendu sa mélodie devenue célèbre, se la fait jouer par son professeur de piano : elle était trop difficile pour qu'il la joue lui-même. Il ne la reconnaît pas comme sienne, et l'apprécie pour celle d'un autre.
Conclusion : s'il y a une création, il n'est pas de créateur.
En attendant le dieu vacant ( Er wartet auf den vazierenden Gott) parue en 1886)
Albin est un artiste, lil crée des fragments. Ayant trop d'idées, il commence une création sans arriver à la développer, bifurque sur une autre. Discutant de ce problème avec un ami, il appelle ces fragments des « soudainetés » qui devraient s'intégrer dans un ensemble, si l'on trouvait de quoi les relier entre eux...
L'un de ces fragments s'intitule « il s'avançait tel un dieu vacant », phrase qui se révèle devoir commenter justement sa difficulté à écrire. L'inachèvement de l'oeuvre ; « ceux auxquels la nature a pour ainsi-dire oublié de mettre la dernière main... qu'elle a jeté sur le marché des grands esprits sous forme de torses, et qui vont à l'aventure parmi les humains, avec en leur sein, cette étincelle d'un autre monde ».
« Mon ami Y. » est aussi un mauvais écrivain qui commet d'abominables romans exotiques et qui en meurt : ces mauvais romans sont de la poésie virtuelle qui ne trouve pas à se couler dans une forme satisfaisante. Entre nous, si les mauvais romanciers mouraient tous de leur médiocrité, l'édition s'en porterait mal, mais les vrais lecteurs ne seraient plus noyés dans une masse de productions où parfois ils perdent leur sens critique et /ou leur patience...
Thème 2
Quatre nouvelles sont des variations sur le thème suivant : un homme devient veuf et s'aperçoit à cette occasion que sa femme avait un amant depuis longtemps. Chaque histoire se termine différemment. Dans l'Autre, le veuf vient pleurer sa femme sur la tombe, voit un autre s'approcher, se sait repéré, et le fuit. Mais il ne trouve nulle preuve tangible de ce qu'il craint et souffre de doute ( Zweifel)
Un Héritage : le veuf a trouvé la pièce à conviction et provoque son rival en duel : c'est la façon dont le rival souffre du duel à venir, et de la mort d'Annette ,et préfigure sa mort à lui qui est admirablement rendu.
Le Veuf : il a découvert la pièce à conviction, mais son rival arrivé, il ne peut rien décider. Or le rival n'aimait pas sa femme, il la partageait avec une autre . L'époux ne réussit qu'à le traiter de canaille.
Le dernier adieu : le point de vue est celui de l'amant comme dans l'Héritage : l'insupportable attente d'Albert, sa maîtresse tarde ; cette attente existait déjà lorsque celle-ci était vivante, et durera encore lors de son agonie. Enfin, il peut l'apercevoir morte, et croit voir un sourire méprisant sur le visage défunt . Elle exige qu'il se proclame comme celui qui l'a vraiment aimé, en face de l'autre (ce que fait Hamlet pour Ophélie par exemple, dans la scène du cimetière). Il se trouve que l'autre, c'est le mari. Il le ferait donc à ses risques et périls.
Mais il ne le fera pas. Il demeure lâche. Ainsi « il n'aura pas le droit de la pleurer » dit le texte.
Et aussi ce qu'il se dit à lui-même, ce que la morte doit penser, le message qu'elle semble lui adresser « je t'aimais et tu es là comme un étranger à me renier. Dis-lui que j'étais à toi, que c'est toi qui a le droit de t'agenouiller devant ce lit et de me baiser les mains... Dis-le-lui ! Pourquoi ne le lui dis-tu pas ?
Aucune de ces nouvelles ne se termine par un comportement digne : si dans l'Héritage, l'amant se bat contre son rival, c'est parce qu'il y est contraint, et il perd, il perd tout de suite. Le Veuf ne cherche pas non plus à se battre contre un rival, lequel y pense encore moins, ayant déjà remplacé sa défunte maîtresse...
C'est dans « Pour une heure » que l'homme paraît le plus ignorant de ses désirs. Cette allégorie fait paraître un Ange de la mort, auquel l'amant demande encore « une heure de plus » avec sa femme mourante qu'il va perdre. L'Ange et lui, cherchent un mourant qui voudrait bien céder cette heure de vie, sa dernière, pour la femme en question.
Ils s'adressent à plusieurs personnes :
- Le philosophe ne veut pas céder sa dernière heure : il est sûr que c'est celle où il va connaître l'énigme de l'univers !
- Le malade qui souffre, veut aussi la vivre cette heure, car il veut se sentir vivre, et d'ailleurs il a fait quérir un nouveau médecin exceptionnel...
- La centenaire veut aussi vivre sa dernière heure, elle qui se plaignait que la mort semblait l'oublier (on pense à la Fontaine « le plus semblable aux mort, meurt le plus à regret »
- Le condamné à mort veut voir l'échafaud, et y marcher encore, voir la foule qui le regarde, revoir une fois encore le ciel ,et fumer son ultime cigarette...
- La femme qui a tant espéré que si elle mourait, ce serait dans les bras de son mari, refuse elle-aussi, et si elle doit mourir, elle veut subitement vivre sa dernière heure seule, et sans amour.
Alors l'amant dit à l'Ange de la mort Moi je veux bien céder une vie tout entière pour vivre encore une heure avec ma femme, et donc j'accepte le marché : perdre ma vie pour qu'elle vive encore une heure avec moi.
Cependant la chose ne se produit pas et la femme meurt aussitôt. L'homme se plaint à l'Ange de la mort dont voici la réponse : « pauvre homme ! Crois-tu donc qu'il te soit donné de voir... jusque dans les profondeurs de ton âme, où résident tes véritables desseins ? Lorsque tu me reverras, je te demanderai si c'est moi qui t'ai trompé, ou bien toi-même, sur ton propre compte ! »
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