La lettre venait des services du recyclage des agents non-titulaires en passe de ré-admission à une virtualité d'emploi.
Ma convocation a été acceptée par le préposé siégeant à l'accueil, lequel a confirmé que j'étais bien attendue au premier étage, troisième porte à droite.
C'était une pièce nantie d'un bureau encombré de toutes sortes de dossiers, la chaise de l'éventuel occupant était vide. Sur l'écran de l'ordinateur, des photographies de loups défilaient en boucle.
Je suis restée debout pendant des heures ; j'ai attendu. Si longtemps que je ne sais plus ce que je suis venue faire. Je connaissais les images de loups par cœur. Des blancs, des gris, des beige, un endormi, trois qui montraient leurs crocs, deux qui s'éloignaient dans une forêt, de la neige parfois, du feuillage, souvent, un rocher bien sûr... des loups comme on en voit partout, quoi... !
Une femme est entrée. Elle portait un tablier en tissu à fleurs et à bretelles sur son vêtement.
C'était peut-être une domestique, mais la coiffure trop apprêtée me semblait-t-il. Du doigt, elle me désigna un réveil rond posé sur le bureau, un réveil presque assez joli pour l'appeler une pendulette.
« Avant quatre-heure et demie, dit-elle.
Surprise.
« La lettre doit partir avant quatre heure et demie.
- Que dois-je écrire ? J'ai seulement une enveloppe.
-
Elle me montre une photo représentant une secrétaire à chignon haut placé penchée sur son bureau avec un degré de déclivité important qui suggère une application extraordinaire ; les écoliers font parfois de même.
-Vous devez écrire une lettre qui partira avant quatre heures et demie. C'est tout.
Elle m'invite à m'asseoir au bureau et quitte la pièce.
Je n'ai personne à qui écrire, et pas de papier à lettres. Il me faudrait aussi une adresse. Ne pouvant obtenir cela, je reste assise à ne rien faire. Me demandant si c'est du lard ou du cochon. Si je suis embauchée quelque part et dans ce cas je vais me faire licencier pour inactivité : le fait que nul ne m'ait donné la moindre tâche à effectuer n'est pas une excuse je le sais : on doit s'affairer lorsque nul impératif ne vous point, c'est le tour de force du travail de bureau, et de n'importe quelle activité professionnelle.
Mais il est possible que je ne sois pas du tout embauchée ; je suis peut-être venue pour régler une vieille affaire
Le texte de la convocation n'en disait rien, ne me rappelait aucune affaire en cours...
L'employée de tout à l'heure, revient, l'air conforme à un chef, je le vois à son sourire pincé faussement accueillant, la main qui ne se tend pas, un bracelet un peu épais qui bouge lentement autour d'un poignet énergique, un maquillage efficace, une coiffure sans âge.
Elle me demande la place, fait un geste vague dans quoi j'interprète qu'éventuellement je pourrais aussi prendre place, mais où donc, attrape un stylo bille de mauvaise qualité dont l'encre a déjà quelque peu fui, pose devant elle une page ordinaire quadrillée arrachée assez proprement (semble t'il à un bloc bon marché), et questionne :
- Pourquoi n'a-t-on pas voulu de vous comme professeur ? »
Cherchant une réponse je me dis « parce que c'est une corp-une corporation. » Je me répète corporation en hésitant sur les mots que celui-là contient corps , porc, pore ,portion et ration ...
A voix haute je trouve enfin mes mots : « dans un corps déjà constitué, c'est un peu délicat de se faire admettre. »
La preuve, c'est qu'aucune âme ne vient dans un corps qu'il ne connaît pas, pensé-je... mais cela se conteste.
La secrétaire, directrice, ou seulement adjointe (adjointe lui conviendrait assez bien mais deviner à quel service, elle est ainsi rattachée, voilà qui n'est pas aisé à résoudre).
- Et la lettre ? lui dis-je, à voix basse ; celle que je dois écrire avant quatre heure et demie ?
Très surprise, cette personne déclare que je n'ai pas à toucher aux fournitures. Des lettres ! Nul n'en écrit plus. On se sert de la messagerie. Si l'on m'a induite en erreur ; elle n'en peut mais. Elle transmettra les informations me concernant à qui de droit. Ne me retient pas.
Je me demande comment font les autres employés. Soudain, je vois que la salle est bien plus grande que je ne croyais, c'est le problème quand il vous faut des heures pour oser regarder au loin... et un grand nombre de tables sont occupées par des gens qui fabriquent des personnages avec des matériaux divers, du plâtre, du mastic, ou du bois. Certains se servent d'instruments, couteaux, truelles, grattoirs... Je n'ose pas les interrompre dans leurs activités raisonnablement ludiques mais peut-être un peu puériles.
Quelqu'un lève la tête, avec un sourire épanoui.
- Tiens ? bonjour !
- Oui ?
- Vous venez pour réparer le distributeur de boisson ?
Pour le coup, je crois qu'il est temps de partir.
bof
la messe est dite
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