Le Corbeau par Gustave Doré
Poe : il lui a manqué un » t » pour être un vrai poet en anglais et un T + un E en français, disent les mauvaises langues. Injuste ! Car il est vraiment poète ! Je viens de lire son corbeau. C'est musicalement réussi !
Corbeau ( Raven est un de mes mots préférés je le répète souvent seule « raven » raven : ça me fait penser à ravage, à rave et à rage ; corbeau c'est moins bien. Le corbeau dans la littérature française est perché sur un arbre avec un fromage... ou encore il s'acharne sur sa proie « Pies et corbeau nous ont les yeux cavés et arraché la barbe et les sourciz! »
A lire le Corbeau, j'ai ressenti quelque chose de bizarre : au lieu du nervermore je me suis surprise à répéter « encore « ! je voulais pourtant pas que le poème dure plus longtemps. Pas davantage n'étais-je charmée par la situation. Un corbeau qui entre chez vous et s'incruste en ânonnant le même mot, supposé fantôme de votre défunt bien aimé (il ne vous aimait pas tant pour vous faire ce coup-là...un vrai coup de Poe) avec ce que l'on imagine de croasserie, et qui ne veut pas se tirer, l'odieux personnage, n'a rien d'alléchant.
Non, je ne sais pas ! Le sortilège des mots ?
Par ailleurs, ce poème me fait penser à l'Aigle noir de Barbara.
J'ai relu un récit de Poe au hasard « Le Cœur révélateur ». C'est un homme qui vit avec un vieux monsieur. On ne sait rien du contexte : on ignore ce qu'est le vieux monsieur à l'œil effrayant pour le narrateur, on ne sait pas non plus ce que ces messieurs font dans la vie. Le fait est que cet œil se révèle avoir un cœur en plus !
Je remarque que le narrateur est puni de son crime : chez Poe il l'est toujours. Et le châtiment, longuement décrit, est la chute du récit, parfois aussi le corps, de sorte que vous ne pouvez le manquer. Le narrateur du chat noir est puni par le chat, William Wilson est puni par son double, l'arracheur de dents (Bérénice) est puni, l'arracheur d'œil est puni par le battement de cœur, le ministre est puni car Dupin retrouve la lettre, les sujets d'un certain roi attrapent la peste, Roderick Usher et sa sœur sont punis de leurs relations trop intimes, le magnétiseur est puni d'avoir exercé ses talents morbides sur Mr Valdemar, par l'infâme spectacle de sa dépouille mortelle vieille de neuf mois de décomposition ...bon sang que cet univers est donc moral !
Rien d'étonnant. C'est à la même époque que sévit Nathaniel Hawthorne (une sacrée épine....) et sa Lettre écarlate. Souvenez vous de ce pasteur coupable, qui défaille tout le temps, éperdu, le cœur lui manque, il s'effondre sur son estrade à cause du cœur lui aussi, de trop intenses battements. Pulsations.
Battement d'aile de corbeau.
Une époque terrible, pleine de péchés, de remords de punitions atroces.
Et cependant Poe est drôle parfois : ce n'est pas pour rien que Breton a sélectionné son « ange du bizarre » pour l'anthologie de l'humour noir.
Poe est né aujourd'hui il y a deux cents ans, trois semaines avant Abraham Lincoln ; avant que cet homme ne devienne président, Poe aura des milliers de fois trempé sa plume dans le goudron, et aura perdu la vie. De toute manières, à lire Poe, vous n'apprenez rien sur la société et la politique et vous ne saurez même pas que vous êtes aux Etats-Unis. D'ailleurs la plupart du temps vous serez dans un vieux manoir éloigné de tout, dans une prison espagnole au temps de l'Inquisition, dans une salle de bal royale au Moyen âge, dans un hôtel particulier à Paris, dans une public school vaguement britannique, dans le ciel néerlandais perdant du lest, sur un bateau qui tangue dans les eaux tourbillonnantes d'une rivière scandinave, dans un tombeau quelque part dans une cave .... Alors partez en voyage avec Poe ; n'hésitez pas à sauter les premières pages, concentrez-vous sur le cœur du récit, oubliez les points d'exclamation et la moitié des superlatifs.