Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 janvier 2009 7 25 /01 /janvier /2009 00:01

Lorsque Guillaume lâcha prise, comme il l'avait dit à Nelly, cherchant le moyen de mettre un mot sur l'incident, ce fut bien parce qu'un instrument, une canule lui chatouillait la gorge, s'immisçait dans le pharynx. Des vannes s'écartèrent pour  expulser, rejeter, répandre et laisser perdre des matières, des liquides acides, de l'air vicié, trop longtemps enfermé. Vidé, anéanti.

Il essayait d'envoyer promener la parole muette de l'ennemi intime, cruelle et incompréhensible pour l'instant. «  T'as procréé, maintenant, t'as plus rien  à faire ici, il te reste plus qu'à mourir ». Des mots des pensées, une phrase entière, accompagnaient souvent une crise, ça se réduisait à l'injonction qu'il fallait mourir à présent, et sous n'importe quel prétexte, ou sans raison du tout.

Le souffle revint timidement, aidé par une sonde nasale.

Quel dommage, pensa t-il, alors, j'ai gâché la fête, je me suis oublié, pourvu qu'on ne me voit pas. Las, il n'y avait aucune chance pour que ça passe inaperçu. Tant pis ! Il se sentait léger. L'arrivée au bureau des admissions lui fit seulement penser : serais-je un assez bon sujet devant Saint-Pierre ? Trouverais-je d'assez douces mains pour me nettoyer ?

Il revint à la dure nécessité  en voyant dans le large couloir des arrivants nettement plus en peine que lui.

Et voilà qu'on lui avait dit «  Votre femme vous a apporté des vêtements et un nécessaire de toilette ». Il en avait été irrité. 

Personne ne lui avait jamais dit : «  Votre femme... ».

 Autrefois, ceux qui ne les connaissaient pas, dans les hôtels et divers lieux de passage, disaient «  Votre amie », ou «  la jeune femme » « la jeune femme qui vous accompagne... »


 Et puis, tout à fait revenu, il  songea avec dégoût que l'on remettrait à  Nelly le paquet de vêtements souillés. Eût-il voulu la faire fuir qu'il n'aurait pu mieux s'y prendre.

 De même il  lui revint que Mic..

que l'enfant l'avait vu avec le masque  à oxygène. Non que cette vision  fut aussi terrible que les masques portés par les soldats dans les tranchées. Dans le grenier à Verrières, Fiord et lui en  avaient  autrefois déniché un, tout craquelé et revêtu de poussière qu'ils osaient parfois endosser pour quelque jeu terrifiant.

 Il n'avait jamais été soldat. Exempté du Service. Ici et là. Seulement bon pour le service de réanimation. Du côté allongé. Il avait tout de même appris à tirer dans un stand, il était bon nageur tout de même, il...

 il s'était énuméré tout ce qu'il savait faire, de façon hétéroclite, et la phrase de l'ennemi intime était revenue s'était bornée à répéter  crève !, et il lui adressait en retour, toi-même ! On eût bientôt dit un de ces échanges de politesse que se font des gamins dans une cour de récréation. Il arrivait lors de ces pugilats que Guillaume fût à cours de souffle, plus vite que son adversaire qu'il dût aller à l'infirmerie. 

N'importe, il savait combattre... Dans une cour de récréation.



Ils étaient restés peu de temps à ses côtés, à cause de l'enfant. Guillaume était partagé entre le désir de voir Nelly, et l'irritation à l'idée de cette vie domestique qui  pourrait commencer. Toutefois Nelly, toute égarée et décoiffée dans sa veste en coton aux couleurs fraîches, un imprimé Madras, qu'elle froissait avec ses doigts, le regard éperdu,  les gestes troublés, indécis, la peau tiède et douce,  avait chassé l'image de l'épouse impitoyable et organisée, de la tyranne oppressante « qui vous apporte un sac de vêtements ». Rassuré, il avait voulu s'abandonner à sa présence.

   Et puis l'enfant avait désiré voir Mathieu.

  Mathieu ? Comment et pourquoi ? Lequel avait cherché l'autre ? Non, il n'était pas incongru que Nelly ait noué des liens épisodiques pendant ces années où chacun était parti de son côté. Il avait cru  qu'elle avait continué à penser à lui, pour le maudire, le regretter, le désirer...

Tu parles !

C'était un peu différent : elle  avait continué à penser à lui, à travers un autre, malgré cet autre, et avec son appui, puisque c'était Mathieu.

Lorsqu'elle avait écrit, c'était dans l'urgence. Plus d'emploi, bientôt plus de toit et  le gamin qui  réclamait Mathieu disparu, il fallait lui trouver un autre père : pourquoi pas l'original ?



Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Nuagesetvent
  • : Comptes rendus de mes lectures avec des aspects critiques + quelques films de fiction Récits de journées et d'expériences particulières Récits de fiction : nouvelles ; roman à épisodes ; parodies. mail de l'auteur : dominique-jeanne@neuf.fr
  • Contact

Rechercher

Archives Récentes