Robert Laffont (Pavillons ; poche) 2005, 10 euros 50
Titre original : « Revolutionary Road » première parution en 1961.
Le roman est fidèle au film de Sam Mendes. Bien plus que je ne m'y attendais ! La plupart des scènes ont été conservées, et sont présentées dans le même ordre que celles du récit, bien des phrases de dialogue se retrouvent aussi.
Cependant, nous découvrons en détail le passé du couple Frank/ April : ce troisième enfant qui les empêche de partir en Europe réaliser leur rêve de changement de vie, n'est qu'un remake : lorsque dix ans plus tôt ils vivaient dans le « Village », d'une façon bohème, ils espéraient déjà partir : April s'est trouvée enceinte pour la première fois et a hésité à se faire avorter...
Enfants, ils n'étaient pas désirés par leurs parents. Et pour ce qui est d'April, elle fut confiée à une de ses tantes et ne voyait jamais ses parents.
Installés dans leur vie de famille qui leur paraît étriquée, ennuyeuse, ils se querellent sans trêve. Le ratage de la pièce de théâtre inaugure une longue période de froid glaciaire. April ne veut pas se réconcilier.
Lorsqu'un soir April le reçoit bien de nouveau, et lui reparle de partir en Europe, Frank voit bien qu'elle se conduit à nouveau comme au théâtre« Et ce qu'il y eut de drôle, c'est qu'en dépit de sa profonde stupéfaction, il ne put s'empêcher de remarquer que la voix d'April... possédait une faculté de jouer la comédie, de prendre un ton d'intensité qui sonnait un peu faux : bref, un air de parler moins à lui qu'à une abstraction romanesque ».
Il lui emboîte la pas, ils se joueront la comédie tous les deux, mais il veut croire que c'est pour un résultat positif.
En outre, il trouve du plaisir à se regarder jouer un rôle, et jette de fréquents coups d'œil à la fameuse fenêtre panoramique qui lui renvoie son image.
Dès l'âge de dix ans, lorsque son père l'emmène visiter l'usine dans laquelle il travaille, il se plaît à regarder son image reflétée dans une glace quelconque :
« Mais les yeux de Frank préféraient aux machines sa propre image que réfléchissait la glace de vitrage. Il se trouvait miraculeusement plein d'une dignité nouvelle grâce à son costume neuf, à son manteau et à sa cravate qui ressemblaient à ceux de son père ; et il était tout content de regarder le couple qu'ils formaient, le père et le fils, au milieu de la foule des passants sur le trottoir ». Ce geste intervient pour le rassurer car, en fait, il a détesté à la fois l'usine, le patron qu'on lui a présenté, l'attitude complaisante, voire servile de son père à l'égard du supérieur.
La différence réside aussi dans les points de vue narratifs. Contée à la troisième personne, l'histoire est vue la plupart du temps par Frank. Ensuite, c'est Shep Campbell, le voisin amoureux d'April, qui prend le relais, ce qui en fait un personnage un peu plus consistant que dans le film.
La narration est également confiée sur de courtes périodes à l'agente immobilière qui nous saoule, qui a rendu sourd son mari et dingue son fils...
Pendant presque tout le récit April est vue par des yeux extérieurs, et connue par ses répliques dans les dialogues. Ce n'est que dans le final tragique, où elle décide de mettre fin à ses jours, que l'on sait ce qu'elle pense vraiment... « la seule faute réelle, l'unique erreur, la seule déloyauté qu'elle pouvait se reprocher, c'était qu'elle l'avait toujours pris pour ce qu'il était, rien de plus. Oh, pour un ou deux mois, histoire de se distraire, ç'aurait pu être très bien de jouer ce jeu-là avec un garçon ; mais pendant tant d'années ... »
Le propos d'April est sans appel. Elle s'est trompée depuis le début...
C'est un excellent roman, qui vaut la peine d'être lu, même après avoir vu le film.
Keisha et Cuné se sont penchées aussi à cette fenêtre...