Métailié ( Suites) 1998, 504 pages.
Un livre qui m'attendait depuis longtemps, puisque j'ai écrit sur 2eme de couverture janvier 1998, 76 F.
Sont réunis une cinquantaine de nouvelles et trente auteurs de fiction de tous les pays d'Amérique latine dont quatre femmes ( Silvina Ocampo, Gloria Alcorta, Luisa Mercedes Levinson, Elena Garro ).
Chaque auteur est présenté par une mini-biographie en italique et une explication de son œuvre et de l'évolution de celle-ci.
Evidemment tout cela peut sembler daté ! De nos jours, onze ans plus tard, on ne parle plus des mêmes auteurs, excepté quelques grands classiques... ! La mode change à une vitesse stupéfiante.
Cette année Métailié a sorti un recueil de nouvelles mexicaines pour le Salon ; mais je ne l'ai pas acheté. Il me fallait lire celui-là.
Certains des auteurs présentés sont de grands classiques tel Borges et Cortazar ; d'autres ont été célèbres et on n'en parle pas en ce moment ( Alejo Carpentier...).
Les nouvelles participent de ce réalisme magique qui est l'apanage de la littérature latino. « Nous n'avons pas à être surréaliste, a constaté Octavio Paz puisque nos pays le sont par nature. »( cité dans la préface).
J'ai relu pour la énième fois et sans m'en lasser « le Sud » de Borges, l'une de ses meilleures nouvelles et de ses plus accessibles. On souffre toujours avec Johannes Dahlmann, fonctionnaire en bibliothèque à Buenos Aires, qui désire secrètement une destinée héroïque comme l'un de ses ancêtres « qui mourut sur la frontière de la province de Buenos Aires, percé par les lances des Indiens de Catriel » et la réalise en rêve de façon incroyablement réelle, alors qu'il est sans doute en train de mourir dans un lit, ou de dormir dans un train.
« Aveugle pour les fautes, le destin peut être implacable pour la moindre distraction » profère le narrateur à propos de l'accident qui mena Dahlmann à succomber à son désir. Le conte est tout aussi plein de sentences que de suspense et d'éléments poétiques. Un récit parfait.
J'ai bien aimé aussi le conte d'Oscar Cerruto (auteur bolivien né en 1912), « les Vautours » qui met en scène un homme qui prend un tramway, y remarque une jeune fille ; le tramway est victime d'un accident, mais notre homme, le voit continuer sa route, indéfiniment, passer des territoires improbables du désert au pôle nord, tandis que tous les passagers sont figés et ne bougent plus. Lui-même ne peut descendre, et attribue de fait à l'attraction que la belle jeune fille lui inspire. Enfin, lorsque les fameux vautours viennent envahir la tram et attaquent les passagers, il devient de plus en plus évident que ce que l'homme nou narre avec un luxe de détails étranges et baroques, c'est ce que lui inspire son agonie car le tramway a réellement été accidenté et l'allure curieuse des autre voyageurs s'explique parce qu'ils sont morts. Mais rien n'est dit explicitement...
Dans la Maison en Sucre, Silvina Ocampo évoque des cas de possession et dédoublement ( une femme se prend pour la précédente locataire de la maison où elle emménage et lui dérobe sa personnalité)
Dans « Retour aux sources », Alejo Carpentier ( auteur cubain du célèbre« Siècle des Lumières ») narre le temps qui fait marche arrière, transformant un mourant en homme en bonne santé puis le transportant vers son enfance, sa vie utérine, tandis que les meubles de la maison où il vit, abandonnent leur forme pour revenir à l'état naturel.
Horacio Quiroga rapporte des fables animalières et César Vallejo( péruvien) une histoire de fou qui se prend pour un homme sain d'esprit et se voit entouré de villageois qui se prennent pour des singes ( Les Caynas) de sorte que l'on ne sait plus à la fin qui est fou...
Sergio Galindo( Mexicain)conte « L'homme aux champignons, tragédie familiale de vengeance filiale...
l'humour est au rendez vous avec Juan-Jose Arreola (Mexicain) qui dans l'Aiguilleur met en scène un voyageur qui n'arrive pas à prendre son train : l'aiguilleur lui explique que les trains sont censés circuler mais ce n'est que virtuel et hypothétique « le prochain tronçon de chemins de fer nationaux va être construit avec l'argent d'une seule personne qui vient de dépenser son immense fortune en billets d'aller et retour pour un trajet ferroviaire dont les plans qui comprennent des tunnels et des ponts n'ont même pas encore été approuvés par la Compagnie ... dans son désir de servir les citoyens la Compagnie ... fait circuler des trains dans des endroits impraticables. Ces convois expéditionnaires mettent parfois plusieurs années pour effectuer leur trajet, et la vie des voyageurs peut subir des transformations importantes...les décès ne sont pas rares mais la Compagnie qui a tout prévu, ajoute à ces trains un wagon-chapelle ardente et un wagon-cimetière. Il faut voir avec quel orgueil les mécaniciens déposent le cadavre d'un voyageur-luxueusement embaumé- sur le quai de la gare mentionné sur le billet... »
Comme plusieurs de ces nouvelles, le véhicule de transport assume sa métaphore avec le temps qui passe et la course à la mort...
L'excellente nouvelle de Cortazar « N'accusez personne » que j'ai chroniquée autrefois, se trouve aussi dans ce recueil.
Enfin, la nouvelle politique est bien illustrée par « La Tache indélébile » de Juan Bosch( auteur dominicain de l'excellent recueil « Vers le port d'origine ») qui se déroule dans un pays totalitaire, où les citoyens se voient convoqués pour s'enlever leur tête qui sont ensuite exposées dans une vitrine...
Le recueil est précédé d'une préface de Claude Couffon, qui a assuré un certain nombre des traductions du livre. Il est utile de la lire, mais seulement après avoir pris connaissance des textes proposés.
Lettre H du challenge ABC ( je n'en ai lu que deux ...!)
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