Résumé des ch. préc. Guillaume W., 16 ans, jeune bourgeois de la fin des années 60, futur beauf, vient de gagner une chambre indépendante pour y vivre sa jeune vie. Il a suivi une grande blonde qui lui demande implicitement s'il est digne d'elle..
-Un peu de chaque, fit Guillaume négligemment.
-Je parie que tu n'as rien compris à ce que j'ai dit.
-Je devrais? "
Guillaume croyait se rappeler que sa mère l’avait appelé ainsi à cause d’un penchant pour Apollinaire.
L'enchanteur?
Tout petit, il avait eu devant les yeux le dessin, la photo du poète avec tous ces bandages sur la tête, et ne
comprenait pas le choix maternel, pourquoi aimait -elle un homme blessé ? Elle n’avait pas manqué de lui montrer des exemples de Calligrammes, et il avait été sensible à deux petites pièces de
vers le Jet d’eau et la Colombe.
Oui mais cela n’avait rien changé à ses tristes impressions d’enfant.
Il ne connaissait ni l’Amateur de Néant, ni l’Homme au Rasoir. Nelly avait-elle improvisé où préparé cette
entrée ? La pensée l’effleura qu’elle se la récitait en attendant un moment propice.
Pas possible, tout de même !
Guillaume ceci, Guillaume cela, c’était beaucoup pour un seul homme, même en plaisantant.
" Tu vas quelque part? "
Il désigna l’entrée du métro, annonça la station à laquelle il descendrait et l'adresse, gravement d'une voix détimbrée.
"Tu habites quelque- part. Es-tu né quelque-part aussi?"
"Oui, c'est à dire non… dans le ferry-boat qui va de Portsmouth au Havre, pendant une traversée et je sais trop sur quel sol…"
Guillaume n'arrivait qu'à triturer dans sa poche d'une main impatiente la carte postale dont il revoyait par à-coup le regard sardonique faussement humble que lui suggéraient des éléments linéaires par lesquels on avait rendu une sorte d'expression.
"Je suppose, continua Nelly en éclatant de rire, qu'on est arrivé à bon port, malgré toi et tes facéties ?
-Ma mère en garde un souvenir pénible : elle a vu apparaître un avorton qui ne respirait pas. Mon père avait disparu : elle le lui a toujours reproché. Des étrangers m’ont ramené à la vie. Mes parents ont eu l’impression d’être impuissants et inefficaces.
Après avoir répété devant elle l’une de ces interminables querelles familiales, de celles qui restent sous-jacentes alors même que rien ne s’énonce, il éprouva un soulagement inattendu, commença à se ranimer, et faufila sa main sous son soutien-gorge.
Ils émergèrent à l’air libre, éblouis par la lumière vive, suivirent la rue des Dames, s'arrêtant pour s'embrasser. Elle le palpait un peu partout, et Guillaume laissait faire éprouvant des voluptés d’autant plus décelables qu’elle vérifiait effrontément l ’état des lieux.
De temps à autre lui revenait en tête sans qu'il puisse la chasser efficacement, cette phrase redoutable lue un jour dans "Les Grandes victoires de la psychologie" de Pierre Daco.
" L'homme doit réaliser son acte et celui de sa partenaire".
A seize ans, Guillaume ne se contentait pas de photos, ni d'impulsions. Eût-on distribué cette année-là déjà le Petit Livre Rouge des lycéens à la sortie des établissements scolaires, l'" Apprenez à faire l'amour", il aurait décliné l'offre et ricané qu'on avait rien à lui apprendre. Mais "Les Grandes victoires de la psychologie" , ça s'achète et ça se lit sans témoins ni forfanterie. Et puis voilà cette citation qui insistait au mauvais moment : « L'homme… doit réaliser…son acte… et celui de… sa partenaire" et qui ne contribuait pas à lui rendre la spontanéité de son âge ni de son tempérament.
Voilà que la porte ne grinçait pas comme à l’ordinaire, elle glissait sans bruit, paraissant vouloir se comporter avec la sournoiserie et la duplicité de ces passages qui se clôturent silencieusement sur le vice.
Et quand il la ferma sur eux de violentes palpitations lui morcelèrent la poitrine et la gêne respiratoire se manifesta.
Il s'assit sur son lit, déjà épuisé, à la recherche de comprimés divers, fouilla le tiroir de la table de nuit sans trouver autre chose que la photographie en couleur d’Ophélie souriante, debout
devant la pièce d’eau jaunâtre du Parc, à côté d’un pilier de ruine romaine et du Gingko biloa, les cheveux tombant sur son imperméable rouge.
Puis la carte postale du Personnage, en sale gosse, la grimace cruelle et le poil hirsute : deux objets qu’il fit disparaître dans les pages d'un livre.
Peu soucieuse du drame qui se jouait chez son défaillant compagnon, Nelly contemplait la chambre. Sur le mur entre
l’armoire et le réchaud à gaz, s’étendait une image assez grande, simplement punaisée, non encadrée ; elle y voyait des masses orangé et gris bleutées à d’autre endroits. L’ensemble donnait
l’impression de chairs féminines écartées, d’une pente douce menant à un orifice entre divers vallonnements. Un petit personnage schématiquement dessiné grimpait à un semblant d’échelle au-dessus
de la ravine en suivant une flèche. L’image était à la fois poétique et humoristique.
Elle aimait moins que Guillaume ait occupé la portion de mur qui longeait son lit à recopier sur du papier blanc,à l’aide de caractère d’imprimerie plus ou moins gothiques quelques phrases de la
Lettre du Voyant de Rimbaud, par exemple « La vraie vie est absente, nous ne sommes pas au monde ».
Allaient-ils vraiment s'allonger sur ce lit et y prendre du plaisir en dessous d’un pareil texte placardé comme un slogan ?
"Qu'est-ce que tu regardes? dit Guillaume toujours mal à l'aise. Les Ontalgic demeuraient introuvables. Un acte sexuel pouvait se révéler fatal et lui couper entièrement le souffle. Comment appeler une ambulance si…