de Pierre Emmanuel Dauzat Bayard, avril 2006.
Ecrivain et traducteur, PE Dauzat veut revisiter la plupart des représentations de Judas à travers les siècles, en Europe. Il y a deux ou trois ans, JL Nancy publiait chez Bayard « Noli me tangere » qui m’avait intéressée, mais voilà qu’à présent c’est Judas la vedette 2006. Irremplaçable Judas, pierre de touche de tout l’Evangile !
Jusqu’ici, selon l’auteur, on estimait de façon un peu simpliste que Judas avait trahi à cause de ses espérances bafouées. D’abord animé de la conviction que les apôtres se battaient pour la libération de leur peuple, il avait découvert que Jésus croyait œuvrer pour un royaume « qui n’est pas de ce monde ». Autrement dit, Judas avait pigé que son maître était fou et voulait les entraîner dans un délire sans rapport avec le combat politique.
On méconnaît Judas selon Dauzat, et l’on en fait aussi parfois un lâche profiteur ou un avare ;
quelle est la valeur actuelle des trente deniers ? Peu de chose estime-t-on !
L’auteur a découvert dans un manuel d’algèbre de 2001 pour les 1ère S ce problème : « Sachant que Judas avait placé les trente deniers au Crédit Agricole du coin à 2% avec intérêts composés, qu’un denier vaut 0,53 g. d’or, déterminez la masse d’or (en millions de tonnes) dont auraient disposé ses héritiers au 1er janvier 2000, supposé que Jésus a trahi en 33 ».
Cela vous amuse ? L’auteur, lui est choqué : il voudrait sortir Judas du ghetto.
Entre toutes les interprétations du personnage et de ses faits et pensées supposées, on peut retenir celle de Jorge Luis Borges, dans « Trois versions de Judas » in « Fictions » repris dans les Œuvres complètes. Pour Borges qui confie l’enquête « Judas » à un philosophe Niels Runeberg membre de l’Union Evangélique, Judas et Jésus sont l’expression d’une même âme. Judas est Jésus. A quoi bon la trahison d’un apôtre quand tous savait où trouver le maître ?
Ce n’est donc pas une trahison mais un geste symbolique. « Le verbe s’abaisse à être mortel, Judas peut s’abaisser à être délateur ». Les formes de la terre correspondent à celles du ciel.
La mort de Judas fait écho à celle du Christ, économie du rachat.
Judas choisit des fautes inexcusables : davantage que Jésus, il prend sur lui les péchés du monde, complétant l’action du Dieu qui se fait homme.
L’auteur cite aussi (c’est une surprise chez un homme manifestement de droite et qui commente Drieu La Rochelle à l’envi) Sylvia Plath qui, dans son livre autobiographique « The Bell Jar », recrée la cène avec douze femmes, et produit une interprétation humoristique. Donc, les fameuses douze femmes de la cène, publicité qui fit scandale l’an dernier, l’idée était loin d’être neuve.
On peut également retenir le chapitre sur Nietzsche consacré au commentaire de « les dieux sont une injure à Dieu, Dieu sera un jour une injure au Divin ».