10/18 ( Domaine étranger), 2002 ( 1ere édition japonaise en 1992), 224 pages.
Hajime a rencontré Shimamoto alors qu'ils étaient encore enfants. Il se vivait différent des autres, parce qu'enfant unique, elle l'était aussi. De surcroît Shimamoto boitait suite à une poliomyélite. Avec la fillette il écoute de la musique (classique notamment) et lit beaucoup.
Cette relation privilégiée l'entraîne dans une vision du monde féminine, et l'éloigne encore davantage du groupe.
Mais au seuil de l'adolescence, il cesse de voir Shimamoto, comme s'il la fuyait.
Vingt ans plus tard, Hajime a connu des liaisons insatisfaisantes et s'est résigné à épouser Kukiko, femme au foyer, sans piquant, mais dévouée et bonne mère. Il a réussi à ouvrir un club de jazz , grâce à son beau-père, et s'ennuie.
Shimamoto, il l'a revue un jour de pluie, et suivie : lorsqu'elle s'enfuyait il s'est trouvé nez à nez avec un inconnu qui lui a donné une somme d'argent pour se taire, le prenant pour un autre...
Un soir de pluie, Shimamoto apparaît dans son club. Belle, maquillée, ornée de bijoux, mais sans bague, ne boitant plus. Elle ne veut rien dire de son existence.
Ils renouent, et vont une journée faire un voyage près d'un fleuve, où Shimamoto disperse les cendres d'un bébé qu'elle a eu l'an passé et qui n'a pas survécu.
Cette expérience forte les rapproche et ils décident de s'enfuir tous deux...
Cette aventure sentimentale évite le romantisme et la facilité, ce qui, avec de tels ingrédients, n'était pas gagné. Shimamoto conserve son mystère, et une personnalité hors du commun, même si on la soupçonne de se faire entretenir par un souteneur, et de devoir tremper dans des affaires louches, ce qui n'a rien de beau ni d'original. C'est dans sa façon d'apparaître les soirs de pluie, de s'éclipser sans que le narrateur s'en aperçoive, d'être fardée sans avoir l'air d'un mannequin ou d'une actrice, sans jamais de vulgarité, dans ses propos et ses gestes simples et profonds, si bien qu'elle transcende sa condition, et que jamais Hajime n'essaie d'imaginer les détails de sa sinistre existence.
Les deux protagonistes communient avec des morceaux de musique fétiches comme la chanson « the Star-Crossed Lovers » qui renvoie au titre du récit. Au Sud de la frontière c'est encore l'espoir, à l'Ouest du soleil, au contraire, c'est la fin, comme le relate ce récit inséré dans le texte à propos d'un paysan qui part chaque matin dans son champs et repart le soir après une journée de labeur où il n'a vu que le champ et le ciel, où le soleil décline vers l'ouest : un soir il s'en va vers l'ouest et disparaît...
Le récit est donc hanté par la mort. L'expédition d'Hajime et de Shimamoto à la campagne le long d'un fleuve, en plein hiver, est d'une poésie sombre et effrayante, amenée par petites touches, poésie à laquelle participent les éléments liquides ( neige, eau, pluie)dont Shimamoto a besoin pour se maintenir en vie.
« Un étroit chemin non asphalté serpentait le long du fleuve. J'ignore où il menait, mais il était terriblement désert et silencieux, et paraissait interminable...la neige accrochée aux talus formait de lignes blanches droites et nettes. Les corbeaux, innombrables, lançaient des cris brefs à notre vue, comme pour signaler notre arrivée à leurs camarades... nous pouvions voir de tout près leurs pattes aux couleurs vives et leurs becs acérés comme des pointes. »
Au retour de ce petit voyage funèbre, Shimamoto est victime d'une sorte d'hypothermie assez sévère, et son compagnon croit voir la mort personnifiée...
Ce récit de Murakami m'a plu bien davantage que « Kafka sur le rivage ». Je l'avais d'ailleurs abandonné en cours de route.
Il appartient à une source d'inspiration bien différente : un type de récit plus intimiste, plus sobre, avec presque toujours deux personnages principaux dont une femme mystérieuse, qui dissimule bien des choses la concernant, et que le narrateur aime ou par qui il est fasciné. Autour de ces éléments forts simples, c'est la vie et la mort de toute chose qui est ainsi, avec bonheur, mise en texte.
« Les Amants du Spoutniks », appartient aussi à ce type de récit (avec des éléments de littérature fantastique) ainsi que « la Ballade de l'impossible » que je lirai sans doute aussi.
Lu dans le cadre de Blogotrésor choix N° 2
Lire aussi la chronique de Lou
commenter cet article …