( The Rain Before It Falls, 2007)
Gallimard, 2009, 249 pages.
Rosamond vient de mourir, laissant sa nièce Gill être son exécuteur testamentaire. La vieille dame vivait retirée dans une maison du Shropshire qui lui était chère. La mort ne semble pas du tout naturelle. En outre Rosamond a laissé plusieurs cassettes enregistrées, qui doivent être écoutées si possible par Imogen, une petite cousine à elle.
Imogen à qui elle semble beaucoup tenir.
Pas simple ! Gill n'a vu Imogen qu'une seule fois, à l'anniversaire des cinquante ans de naissance de Rosamond. C'était une jolie petite fille de huit ans, aveugle, qui lui avait fait une forte impression. Et donné l'occasion de chercher à décrire ce qu'elle voyait.
Gill et ses deux filles, dont l'une est musicienne, vont tenter de retrouver Imogen, mais en attendant, elles écoutent le récit enregistré de Rosamond, dont, faute de mieux, elles sont les dépositaires.
Rosamond a raconté sa vie à la jeune aveugle, pour que celle-ci apprenne d'où elle est issue. Car Imogen est une enfant adoptée.
Et c'est tout d'abord la figure de Gracie que l'on voit surgir des mémoires de la vieille dame esseulée, à travers la première des vingt photographies qu'elle a choisi de décrire et commenter pour Imogen. La meilleure amie de Rosamond enfant, dont elle fut séparée par la guerre. Rosamond n'a pu lui dire adieu : son doigt était coincé dans le petit trou d'une barrière en bois... à la photo suivante, apparaît Beatrix ...
Le récit a été conçu pour une aveugle. C'est donc en aveugle que le lecteur va le recevoir. Un choix judicieux car un lecteur ne voit jamais qu'en imagination ce que le narrateur veut lui dire ; d'où l'importance accordée à la description, à l'aspect visuel et musical de toutes choses.
Le récit de Rosamond est la vie d'une femme subjuguée très jeune par sa cousine, forte personnalité déséquilibrée, à laquelle elle se lie pour toujours, pour le meilleur et pour le pire, et lorsqu'elle n'a plus rien à en attendre, elle se tourne vers sa descendance : Beatrix. Dépourvue de disposition pour la maternité, cette dernière ne semble avoir un enfant que pour le donner à Rosamond et le lui reprendre, et sa propre fille agira de même. Tandis que Rosamond se trouve des compagnes de vie qui ne la satisfont jamais, Beatrix épouse des hommes qu'elle s'empresse de quitter. Les deux femmes sont liées mais Beatrix vit cette relation sur un mode haineux et destructeur.
Le titre « la pluie avant qu'elle tombe » fait penser à ce sentiment de bonheur intense et terrifié dont on pressent qu'il va être suivi d' une catastrophe parce que c'est trop beau et que ça se paie... ou plus prosaïquement le changement de l'atmosphère lorsque la pluie menace, l'orage en particulier. On peut attendre d'un Anglais qu'il en ait fait à de nombreuses reprises l'expérience...
Un récit mélancolique axé sur le destin que l'on doit endurer, plus que sur la critique sociale à quoi Jonathan Coe s'attachait surtout jusqu'ici. On retrouve cependant des références cinématographiques chères à l'auteur. Jennifer Jones dans "Duel au soleil" à laquelle ressemble l'héroïne principale du roman, Beatrix, portrait de femme au tempérament violent. Il est question d'un autre film " la Renarde" que je ne connais pas.
Il n'y a que des héroïnes femmes dans ce roman écrit par un homme ! Les hommes y sont réduits à très peu de choses. Aucun ne trouve grâce aux yeux de Rosamond, la narratrice...
Pourquoi Rosamond ? J'ai d'abord pensé à Rosebud, et puis je me suis rappelée de cette préface que Coe, en 1995, consacra à « Poussière » de Rosamond Lehmann, préface que l'on peut lire dans la réédition de ce roman chez Phébus( année 2007).
Coe y reconnait Lehmann ( 1901-90) comme un de ses auteurs préférés « un roman qui continue de m'ensorceler », la défend avec brio contre ceux qui la jugent passéiste, admire « les superbes portraits de personnages masculins » de son roman, qu'il aime particulièrement « la plupart des hommes y reconnaîtront des aspects d'eux-mêmes, et l'embarras les fera rougir ». Sans doute a-t-il voulu lui rendre hommage, et nous livrer de superbes portraits de personnages féminins, ainsi que des descriptions merveilleuses de la campagne anglaise comme savent si bien le faire nombre de romancières de ce pays, ce qui explique que ce roman soit si différent de ceux qu'il écrit d'ordinaire, plus traditionnel dans sa construction, plus ciblé sur les émotions.
C'est une étape intéressante dans le parcours de Coe, mais il serait malvenu de comparer cette œuvre singulière à ses autres romans.
L'avis de Dasola.