20 août 2011
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L’Enfance nue :
1er film de Maurice Pialat,
Arte 20h 40 .5/07/06.
J’ai vu ce film pour la 1ère fois au moment de sa sortie (le journal précise : en 1968). Agée donc d’une quinzaine d’années. Ma mère nous
avait emmenés le voir, mes demi frère et soeur (12 et 9ans) et moi.
C’était son choix : « ça vous servira de leçon. Vous vous plaignez tout le temps, vous allez voir ce que c’est d’être privés de parents, d’être
livré à n’importe qui ». Bien sûr, j’ai, à ce moment-là, détesté le film sans vraiment le regarder. Il n’y a pas eu de discussion ensuite ; il s’agissait juste de
« recevoir une bonne leçon ».
Mais trente et des poussières plu tard, on s’aperçoit que l’orphelin François n’est pas « livré à n’importe qui »…
François, dix ans, est le personnage principal de ce film quasi-documentaire. Il a une mère qui ne s’en occupe pas. Les abandons d’enfants sont de nature
variable ; certains sont indécelables parce que l’enfant étranger à sa famille vit cependant au domicile d’un couple, va à l’école et ne souffre pas de la faim. Ici, l’abandon est
patent. François ne reçoit de sa mère ni logement ni nourriture et ne reçoit pas de lettres. Elle n’a pas pour autant signé de documents officiels qui permettraient à l’enfant d’être
définitivement adopté. On ne peut que le placer dans des familles d’accueil en attendant mieux.
Le film s’ouvre sur une manifestation : Les banderoles réclament le « plein emploi ». On nous a dit, ressassé, rabâché, que pendant les
« trente glorieuses » les adultes avaient joui de la situation enviable du plein emploi… !!
Puis nous sommes autour d’une table ; la maîtresse de maison, 30 ans reçoit l’éducateur qui suit François et l’a fait placer. La femme est
nerveuse, à bout de force, elle en est venue à se négliger : ses longs cheveux teints en blond roux laissent voir plusieurs centimètres de racines brunes. Cette
femme et son mari répètent leurs motivations : un seul enfant et nulle possibilité d’en avoir d’autres, ainsi que le désir d’un fils. Ils ne peuvent pourtant plus garder
François pour 2000 F. par mois.
Ce qui frappe chez François, c’est son regard indéchiffrable, et qui le restera. Le film est en focalisation externe. On voit qu’il se sent agressé par la
plus menue vexation. Josette, l’enfant légitime du couple ayant gagné la partie contre lui à un jeu de société, il s’empare du chat de la fillette et le jette du haut de plusieurs étages. Le
matou a survécu, François l’insulte et s’emploie à l’achever. Le jour du départ, il achète un cadeau pour la maîtresse de maison avec l’argent de poche qu’elle lui donnait.
Deuxième famille : un couple sexagénaire, remariage de deux veufs,la mère octogénaire et un garçon de quatorze ans, Raoul, également placé, que François
attaque assez vite ( le menaçant d’un poignard) : Raoul est relativement adapté et a de bonnes notes en classe.
François va passer de plus en plus de temps à des actes de petite délinquance avec de plus âgés que lui.
C’est avec la femme octogénaire, dite « mémère la vieille » que François a une relation positive. Parce qu’elle est comme lui, hors norme, faible,
souvent alitée, se détachant chaque jour davantage de la société ( à cause de son âge), et conduite à observer une distance ( bienveillante cependant) vis-à-vis d’elle. Elle ne
fait jamais la morale à François et n’est pas chargée de le surveiller ni de l’éduquer ; de ce fait la relation est ludique. On a des scènes amusantes et justes entre
François et « mémère la vieille » ; François n’hésite pas à lui demander « mémère, t’as déjà été la maîtresse d’un homme ? ». A un mariage il la prend en photo. Un
jour, la charmante vieille dame meurt dans son sommeil, et François accumule les actes de délinquance ; cette mort précipite son départ de la seconde famille. Nouveau départ pour un
centre éducatif : quelques mois plus tard, François envoie une lettre au couple qui l’a accueilli : « je construis un abat-jour pour moi ». Cette lettre est-elle vraiment
personnelle où forcée et plus ou moins dictée, on n’en saura rien. François aimait bien cette famille ; s’il n’a pu vivre avec eux, c’est qu’il ne s’y autorisait pas. Le problème est qu’il
n’est pas officiellement adoptable et ne peut nouer des relations durables qui risquent d’être interrompues.
C’est un film riche et juste. Il n’y a pas de manichéisme ; François n’est pas agressif parce qu’il est maltraité : les familles d’accueil sont
sympathiques et aimantes même si elles ne le comprennent pas. On nous fait partager les problèmes des enfants et des éducateurs : par exemple la xénophobie dont discutent les
éducateurs ; les familles refusent presque toutes d’adopter un enfant noir.