15 juillet 2006
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Max Jacob aurait eu 130 ans le 12juillet.
N’attendons pas la fin du mois pour lire ou relire « Le Cornet à dés » publié à compte d’auteur il y 90 ans. Et peut-être « Le Cabinet
noir » recueil de lettres parodiques, exercices de style burlesques.
Eléments biographiques :
Né Max Jacob Alexandre, à Quimper. Ce troisième prénom qui lui servait de nom patronymique fut abandonné par sa famille dans on jeune âge :il ne lui en
resta plus que deux.
Cet écrivain trouve sa place dans l’histoire de la littérature française de Pierre Brunel ( Bordas) tome 2, dans le chapitre « Le surréalisme » , et plus
précisément dans le sous-chapitre « la poésie hors du surréalisme » en compagnie de Reverdy, Fargue, Cocteau et Supervielle ; contradiction : Max Jacob est surréaliste et ne
l’est pas. Il y en a d’autres ( la religion : israélite et catholique ; croyant et non –croyant, mystique et mystificateur, préférences sexuelles : une femme
d’abord, puis les hommes, et sans jamais cesser de prôner la chasteté…).
L’ouvrage que j’ai cité dit assez justement « Non –conformiste dans la vie,l’auteur l’est plus encore dans ses œuvres : devant l’absence de
signification du monde réel, le poète refuse même semble-t-il de croire à ce qu’il écrit ; il se réfugie dans la mystification, l’ironie , le burlesque… le rire que provoque la cocasserie de
certains textes, … n’abolit pas l’inquiétude que leur apparent non-sens suscite. »
La poésie est pour lui « Un instantané même manqué de ce fragment de monde qui passait » (Lettre à Apollinaire, 1909).
Il est attirés par la max(ime) ; il y a dans le Cornet à dés une centaine d’aphorismes :,
Ex :" Le renard au corbeau demande son fromage. Pour l'homme toute femme est d'abord un corbeau ".
La plupart des biographies de Max Jacob sont ennuyeuses parce qu’elles font la part belle à l’homme religieux, sa recherche du divine, sa rencontre avec Dieu etc…
je m’en passe très bien. Certains des écrits de notre étonnant poète, tout entiers emplis de lyrisme, prières et dévotion, sont aussi à éviter. Malgré sa profonde religiosité, Max Jacob est un de
mes poètes préférés. Pourquoi ?
Mais voyons le « Cornet à dés ».
Ce recueil poétique de 68 récits brefs est assorti de réflexions humoristiques ou désabusées.
Il a trouvé sa matière première dans les sujets les plus divers
-L’actualité politique : exposition coloniale (souvent décrite par les littérateurs de l’époque, ici une merveille eu peu de mots) ; le Japon qui devient
une grande puissance.
- Le débat artistique : cubisme, modernisme. Il rejette la culture classique, mais ce n’est qu’une apparence.
- Souvenir de lectures : le petit Poucet, Fantômas, Mémoires de Sarah Bernhardt, l’Ancien Testament…
- Souvenirs d’enfance : Quimper.
- la vie quotidienne : Rue Ravignan, la blanchisserie.
Les récits adoptent différents genres qui ne sont pas tous littéraires : le compte-rendu critique, le pastiche des modèles romanesques connus
(« Genre biographique » ; « roman feuilleton ») le pastiche des auteurs (surtout romantiques et symbolistes : « poème dans un goût qui n’est pas le
mien »), l’enquête journalistique et le fait divers.
Le cornet à dés.
Le titre s’inspire probablement du « coup de dés » de Mallarmé un auteur que pourtant Max Jacob dit ne pas aimer dans la préface.
On jette ensemble divers éléments qui sont ensuite fondus dans un poème. Celui-ci a sa logique propre qui « imite les données de l’inconscient. »
Cependant, dans sa préface, Max Jacob revendique une esthétique classique. Il dit s’être inspiré d’Aloysius Bertrand bien davantage que de Baudelaire pour produire
ses poèmes en prose. Tous ces poètes romantiques ou symbolistes cités dans la préface que Max Jacob récuse plus ou moins, il en utilise tout de même certains
procédés.
Important : le poème en prose doit être « clos sur lui-même », parfait, situé et placé.
L’humour et la fantaisie surgissent des jeux de mots et de sonorités et des effets de surprises créés par les références explicites à des genres sérieux dans un
langage quotidien.
Conclusions imprévues qu’on peut assimiler à des pointes.
Dérision de la littérature : rupture avec la cohérence spatio-temporelle du récit réaliste.
Esthétique du dépaysement ; il cherche non à surprendre mais à transplanter.
Ce qui est fascinant chez Max Jacob c’est sa manière de faire des élans lyriques contrariés, de poser chaque texte comme une énigme de réinventer
l’utilisation du point d’exclamation. Le commentaire ironique est un procédé qu’il utilise constamment.
Voici un des ces poèmes qui a pour sujet l’inspiration :
Conte de Noël
Il y avait une fois un architecte ou un cheval : c’était un cheval plutôt qu’un architecte, à Philadelphie, à qui l’on avait dit : « Connais-tu
la cathédrale de Cologne ? fais construire une cathédrale pareille à la cathédrale de Cologne ! »Et, comme il ne connaissait pas la cathédrale de Cologne, alors, il fut mis en
prison. Mais, en prison, un ange lui apparut, qui lui dit : « Wolfrang ! Wolfrang ! pourquoi te désoles-tu ? » - Il me faut rester en prison, parce que je ne connais
pas la cathédrale de Cologne !- Il te manque le vin du Rhin pour bâtir la cathédrale de Cologne, mais fais-leur voir le plan, alors tu pourras sortir de prison. « et l’ange donna le
plan, et il montra le plan, alors il put sortir de prison, mais jamais il ne put bâtir la cathédrale parce qu’il ne trouvait pas le vin du Rhin. Il eut l’idée de faire venir du vin du Rhin à
Philadelphie, mais on lui envoya n affreux vin français de la Moselle, de sorte qu’il ne pur bâtir la cathédrale de Cologne à Philadelphie ; il ne fit qu’un affreux temple
protestant.
L’échec de l’œuvre tient à la difficulté de réunir ensemble des éléments disparates. La construction existe (le plan) mais pas ce qui est propre à donner
l’enthousiasme, l’ivresse créatrice ( le vin du Rhin) On relève un hommage amusant et irrespectueux à Mozart ( Wolfrang)
Cheval : pour Max Jacob il ne s’agit pas d’un animal mais d’une drogue trivialement désignée par ce mot ( il utilisa par exemple l’éther et la tisane de
jusquiame ; il ne les trouve pas fameux [ « mon Pégase n’est plus qu’une Rossinante… »] et s’en plaint fréquemment non sans humour). Cheval désigne aussi les possibilités
créatrices du poète.
Philadelphie doit s’entendre étymologiquement : philia et Delphes. Oracle.
L’inspiration apparaît comme un ordre indéterminé « on ».
Portrait de Max Jacob par Christopher Knowsley en 1929 Musée des Beaux Arts de Quimper.
Max Jacob mourut en déportation le 5 mars 1944 à Drancy :
LA GUERRE
Les boulevards extérieurs, la nuit, sont pleins de neige ; les bandits sont des soldats ; on m'attaque avec des rires et des sabres,
on me dépouille : je me sauve pour retomber dans un autre carré. Est-ce une cour de caserne, ou celle d'une auberge ? que de sabres ! que de lanciers ! il neige ! on me pique avec une seringue :
c'est un poison pour me tuer ; une tête de squelette voilée de crêpe me mord le doigt. De vagues réverbères jettent sur la neige la lumière de ma mort.