Pierre Assouline annonce et commente dans « la République des Lettres » l’exposition du sculpteur nazi Arno Breker à Schwerig en Allemagne du nord et
les réactions que cette exposition suscite ( vive émotion, indignation).
Ceux qui pensent comme Günter Grass que l’on doit tout savoir sur le troisième Reich et aussi, si j’ai bien compris les quelques lignes auxquelles Assouline nous renvoie dans « El Pais », que
Breker n’était pas un mauvais artiste, et qu’il convient de différencier la politique de l’art, vont s'intéresser à l'exposition pour des raisons esthétiques.
Cocteau ,si l’on en croit les documents mis à disposition par Assouline, aimait Breker et lui a consacré un poème. En effet, ses sculptures paraissent exalter la virilité, en tout cas donner du sexe masculin une image de puissance.
Il n’y a pas de biographie connue de Breker ( 1900-1991), mais je crois pouvoir dire qu’on s’en est servi comme personnage de fiction : Serge Brussolo, dans son roman « La Maison de l’aigle » publié en 1987, avant la mort du sculpteur, le met en scène sous le nom d’Arno. Ce roman, à mon sens le meilleur de Brussolo ( il avait d’ailleurs été mis sur la liste du Goncourt) publié chez Denoël, n’est pas réédité mais on le trouve facilement dans les bibliothèques.
L’héroïne, Judith, habite « 3, place de Byzance » une résidence du seizième arrondissement de Paris, où elle s’ennuie avec son mari architecte ; ils vivent LAT comme on dit aujourd’hui « living apart together » se rencontrant par hasard, par nécessité et le moins possible. C’est avec un plaisir non dissimulé que Judith assiste à la lente détérioration de l’immeuble bourgeois « envahi par de dangereux inconnus » des « gardes-chiourmes qui lui semblent sortis de romans populaires « . Ce qui signifie que, dans Paris occupé, en 1942, le troisième Reich a réquisitionné cette demeure pour y faire un musée à la gloire d’Hitler, et ce, grâce au peintre Arno ( je ne crois pas que Brussolo lui attribue un patronyme, en tout cas, pas « Breker » mais on saisit qu’il a dû s’inspirer de cet artiste, quoique je ne connaisse pas ses sources.
Judith voit Arno pour la première fois : « très grand, dégingandé, a l’air d’un enfant, d’un adolescent poussé trop vite, sans chair ni muscle…la lumière lunaire décolorait son visage et ses cheveux qui paraissaient blancs »
Grâce à sa naïveté et à sa disposition d’esprit romanesque, Judith ne prend pas au sérieux les envahisseurs d’Hitler (l’artiste, flanqué d’un médecin, d’un chef et de militaires) et son ignorance la met à l’abri du danger. La maison, dont les locataires sont chassés, va ressembler à un atelier de peinture grotesque où s’entassent les objets les plus hétéroclites demandés par Arno pour son œuvre. Ce peintre, sans âge, mais aussi naïf que Judith, ce qui le fait paraître adolescent dans son attitude, adhère spontanément et sans question à l’idéologie raciale criminelle ; cette façon de penser sert ses obsessions d’adolescent perverti. Et pourquoi pas ? –une interrogation personnelle, quoique superficielle, sur l’art.
Arno fait aussi penser à une sorte de vampire ; il a toujours froid, n’aime que la clarté lunaire et rêve de toiles « qui s’ébaucheraient la nuit et disparaîtraient aux premières lueurs de l’aube ».
Judith dissimule son ex-amant américain « Teddy », dans un cagibi que masque la porte d’une armoire à
glace. Le cagibi, où Judith a joué enfant, s’appelle L’Afrique.
Teddy, « un profil de boxeur écrasé aux cartilages broyés qui respirait mal avec des reniflements de petit garçon enrhumé » a le sang chaud, heureusement car Arno, ( qui plait
aussi à la jeune femme) est aussi impuissant qu’imberbe et anorexique. Toutefois, Judith réussira à avoir avec lui, plongé dans l’inconscience, une relation sexuelle.
La nuit, Teddy, au péril de sa vie, se promène dans la résidence et voit les tableaux d’Arno : "de la peinture
académique, Judith transformée en une déesse nordique, pâle, et sans vie ».Il est indigné.
Aux ordres d’Arno, la pauvre Judith doit se faire arracher les dents pour poser comme modèle. Elle prend des médicaments pour avoir l’air anémique, subit des opérations
esthétiques mineures pour lui creuser les joues et doit faire semblant d’allaiter de véritables nouveau-nés ( car la déesse doit être mère…) pour la pose. Des bébés dont on se débarrasse ensuite
aini que leurs mères dans le sous-sol où , selon Judith; règne un odeur bizarre de brûlé. On lui parle d'une vaste entreprise d' incinération d' ordures, et elle préfère le
croire.
Les toiles d’ Arno sont anatomiquement faites : il peint l’intérieur des organes, les recouvre, peint d’autres viscère,
recouvre encore , jusqu’à lisser une peau parfaite. Les sujets relèvent de l’imagerie populaire des légendes nordiques. Teddy commence à défigurer les toiles d’Arno et ce dernier s’en aperçoit ;
il commence à détruire ses toiles et peint des fresques immenses et floues sur le murs , ordonne la destruction des cloisons séparatrices dans l’immeuble, qui en vient à ressembler à une
cathédrale…
Tout ce petit monde est entièrement détruit sauf Judith, enceinte de Teddy ou d’Arno (des deux) qui attend de donner
naissance à un nouvel individu qui tient à la fois de la bourgeoise française naïve, rusée et romanesque, du nomade américain aux mille métiers et du citoyen fasciste du troisième Reich un peu
artiste malgré lui. Je ne sais en quoi les contemporains sexagénaires pourraient s’y reconnaître ?!
Et pourtant la « Maison de l’aigle » bien trop oubliée est un excellent roman …
Note du 23 Novembre 2007 : malgré le succès rencontré par cet article, je me demande si je ne dois pas le supprimer à cause des trop nombreux internautes qui, les
stats le disent, cherchent avec constance un "aigle nazi" dans ce blog. ça me déplaît.